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Cass. Civ. 1ère Ch., 10 septembre 2014
CJUE, 11 septembre 2014

La Cour de cassation et la CJUE ont concomitamment rendu deux décisions relatives à l’application des exceptions au droit d’auteur en matière de numérisation des œuvres de l’esprit.

La Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 10 septembre 2014 la décision des juges du fond ayant rejeté le bénéfice de l’exception prévue à l’article L.122-5, 9° du code de la propriété intellectuelle visant notamment « La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur ».

Dans cette affaire, la société Artprice.com avait été mise en cause pour l’exploitation d’une base de données recensant les résultats de vente couvrant les œuvres de 500.000 artistes, dont les œuvres graphiques d’un peintre très célèbre qui étaient reproduites sur son site sous forme numérisée sans autorisation. La Cour de cassation a validé la motivation retenue par la cour d’appel ayant constaté que « la société Artprice.com donnait des informations générales sur la marché de l’art, sans lien exclusif avec l’actualité, et s’était à ce titre placée en situation d’offre permanente au public des reproductions litigieuses et en avait légalement déduit que celle-ci ne poursuivait pas un but exclusif d’information ». [Netcom Mars 2014]

La Cour de cassation valide ainsi l’approche adoptée par les juges du fond aux fins d’apprécier le respect des conditions applicables à cette exception, à savoir, « une reproduction effectuée « par voie de presse » et « dans un but exclusif d’information » et qu’à ce titre le site ne peut être assimilé à un organe de presse ayant pour seule vocation d’informer le public en lui rendant compte de l’actualité immédiate dès lors que l’utilisation des œuvres par Artprice.com n’était ni exceptionnelle ni incidente et encore moins liée à la seule actualité. »

Sur le terrain du droit communautaire, la CJUE a eu quant à elle l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’article 5 §3 n) de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Cette disposition permet aux Etats-membres de prévoir une exception au droit d’auteur « lorsqu’il s’agit de l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des établissements visés au paragraphe 2 point c) [i.e bibliothèques, établissement d’enseignement, musées et archives] d’œuvres et d’autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions en matière d’achat ou de licence ».

Dans le litige examiné par la CJUE, la bibliothèque d’une université allemande avait numérisé un ouvrage de sa collection aux fins de mise à disposition auprès des usagers sur les postes de lecture électronique installés dans ses locaux pour la consultation de ses fonds documentaires. L’université avait parallèlement refusé l’offre de l’éditeur de cet ouvrage qui lui avait proposé d’acquérir et d’utiliser sous forme de livres électroniques, les manuels de l’ensemble de son catalogue comprenant l’ouvrage litigieux. Compte tenu de ce refus, l’éditeur a saisi les juridictions allemandes. La Bundesgerichtshof (cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer aux fins de poser à la CJUE les questions préjudicielles permettant de déterminer les conditions relatives au bénéfice de l’exception prévue pour les bibliothèques accessibles au public.

Dans l’arrêt rendu le 11 septembre 2014, la CJUE rappelle que les limitations au droit d’auteur telles que prévues par l’article 5 §3 n) visent à promouvoir l’intérêt public lié aux recherches par la diffusion des connaissances, ce qui constitue la mission fondamentale des établissements tels que les bibliothèques. L’exclusion de l’application de l’exception au seul motif que la conclusion d’un contrat aurait été proposée par les titulaires de droits « serait de nature à vider la limitation prévue à cette disposition d’une grande partie de sa substance, voire de son effet utile, dès lors que, si elle était retenue, ladite limitation ne s’appliquerait […] qu’aux seules œuvres, de plus en plus rares, pour lesquelles une version électronique, en particulier sous forme de livre électronique, n’est pas encore offerte sur le marché ». Par conséquent, la référence « aux conditions d’achat ou de licence » visées dans l’article de la directive implique que l’éditeur et la bibliothèque ait d’ores et déjà conclu un contrat de licence portant sur l’œuvre concernée et spécifiant les conditions de son utilisation par l’établissement public.

Sur la question de la numérisation de l’œuvre, bien que l’exception accordée aux bibliothèques limite l’utilisation des œuvres « à la communication ou [à la] mise à disposition » de celles-ci au moyen de terminaux spécialisés, la cour énonce que ce droit de communication est assorti d’un « droit accessoire de numérisation des œuvres concernées » qui est reconnu aux établissements publics pour autant qu’il s’agit d’« actes de reproduction spécifiques » » nécessaires à la mise à disposition des œuvres. La cour ajoute que « cette condition de spécificité doit être comprise en ce sens que les établissements concernés ne sauraient en règle générale procéder à une numérisation de l’ensemble de leurs collections ». Dès lors que la loi allemande sur le droits d’auteur prévoit que les œuvres numérisées qui sont rendues accessibles aux usagers ne sauraient excéder le nombre d’exemplaires des œuvres acquis par les bibliothèques sous un format analogique et que la mise à disposition ultérieure de celle-ci par les bibliothèques donnent lieu à une rémunération appropriée, le droit de numériser les œuvres faisant partie de leur collection ne serait pas assujettie à l’autorisation des ayants-droit.

Toutefois, ce droit de communication dont bénéficie les bibliothèques ne couvre pas le droit de permettre aux usagers d’imprimer les œuvres numérisées sur papier ni de les stocker sur une clé USB à partir des terminaux spécialisés. Ces actes constituent en effet des actes de reproduction distincts. La CJUE rappelle néanmoins que les États membres peuvent, dans les limites et les conditions fixées par la directive, prévoir une limitation au droit exclusif de reproduction des titulaires de droits pour permettre aux utilisateurs d’une bibliothèque de réaliser des copies privées numériques ou analogiques dès lors que les conditions posées la législation locale sont réunies, et notamment, celle liée au versement d’une compensation équitable au profit des titulaires de droit.

Ces deux décisions démontrent que les conditions relatives à la mise en œuvre des exceptions au droit d’auteur, tout en s’adaptant à l’environnement numérique, restent soumises à l’appréciation circonstanciée des juges qui opèrent un juste équilibre entre les droits et intérêts des titulaires de droit mais également ceux des utilisateurs d’œuvres protégées. Plus particulièrement, la CJUE reconnait aux établissements publics le droit de numériser l’ensemble de leur collection à des fins de recherche et d’études, dès lors que sa diffusion demeure restreinte et ciblée.

Sabine DELOGES

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