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Conseil d’Etat, 15 juin 2016, n° 375446

Le Conseil d’Etat vient de rendre un nouvel arrêt illustrant la frontière parfois délicate entre charge déductible du bénéfice imposable et immobilisation, en matière de redevances de licence de marque.

 

Les redevances de licence de marque constituent a priori des charges, et un arrêt célèbre du Conseil d’Etat remontant à 1996 (CE 21 aout 1996, Sife, n° 154488) est venu encadrer strictement les conditions d’immobilisation des concessions de droits de propriété industrielle. Ces redevances ne doivent être immobilisées que lorsque le contrat de concession présente cumulativement les trois conditions suivantes : être une source régulière de profits, être doté d’une pérennité suffisante et permettre une cessibilité des droits concédés.

Il s’agit ici de la première décision du Conseil d’Etat concernant une période couverte par la réforme de la définition comptable des actifs de 2005. Le Conseil d’Etat confirme maintenir les trois critères précités issus de la jurisprudence Sife, et notamment celui de la cessibilité, comme condition à une immobilisation des redevances. On avait pu se poser des questions sur ce point dans la mesure où depuis la réforme comptable de 2005, la définition des actifs est fondée sur la notion de contrôle économique et non plus de propriété juridique. On constate ainsi que le critère de cessibilité n’est pas systématiquement requis lorsque des droits incorporels ont pour origine une protection juridique résultant d’un droit légal ou contractuel . Pourtant, dans la mesure où le CNC avait exclu du champ de sa nouvelle définition des actifs les contrats de louage de marque et de brevet, le Conseil d’Etat pouvait maintenir sa jurisprudence Sife, ce qu’il fait.

Sur le fond, l’affaire est la suivante :

Un contrat de licence de marque, conclu en 1999 pour une durée initiale de cinq ans et portée à vingt ans en 2002, confère à la société licenciée, qui a pour activité la production de vêtements et d’accessoires, le droit exclusif d’exploiter la marque en question. Le Conseil d’Etat considère traditionnellement que cette exclusivité caractérise une source régulière de profits, première condition d’immobilisation des redevances. Si cette exploitation exclusive peut éventuellement se traduire par la stipulation, dans le contrat de concession, d’une clause d’exclusivité de clientèle, le Conseil d’Etat précise ici que l’absence d’une telle clause n’est pas incompatible avec la qualification de source régulière de profits.

Sur le deuxième critère, le Conseil d’Etat a de façon peu surprenante considéré que les droits attachés au contrat conclu pour une durée de vingt ans et tacitement renouvelable pour une même durée devaient être regardés comme dotés d’une pérennité suffisante, et ceci alors même que les recettes issues de l’exploitation du contrat avaient connu une baisse et que la mode à l’origine de la création de la marque était dépassée.

Sur le dernier critère, celui de la cessibilité des droits concédés, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que cette condition n’était pas remplie lorsque la cession de ces droits était subordonnée à l’accord préalable du concédant (CE 16 oct. 2009, n° 308494). En pratique une grande vigilance reste nécessaire. Il s’avère en effet que le critère de cessibilité peut être considéré rempli en cas de cessibilité totale mais également partielle des droits, et comme on le sait déjà par voie de cession comme de sous-concession. Dans la présente affaire, si le contrat initial prévoyait la libre cessibilité des droits sous réserve d’en informer le concédant, deux avenants conclus en 2002 et 2004 exigeaient ensuite l’accord exprès du concédant pour (i) la conclusion d’une licence ou d’un contrat de distribution à l’international (mais non pour la France) et (ii) la conclusion de tout contrat de sous-licence. Nonobstant la signature de ces avenants, le Conseil d’Etat confirme la position des juges du fond en jugeant que les droits restaient susceptibles d’être cédés.

Considérant les trois critères d’immobilisation remplis, le Conseil d’Etat refuse en l’espèce la déduction fiscale des redevances du résultat imposable de la société requérante.

Dans cette situation se pose de façon cruciale la question de l’amortissement des droits sur la durée du contrat en vue d’obtenir malgré tout in fine leur déduction fiscale. Or le Conseil d’Etat précise que cette déduction par voie d’amortissement ne va pas de soi, encore faut-il être en mesure de déterminer la durée prévisible pendant laquelle le contrat de concession produira des effets bénéfiques sur l’exploitation. Et il juge laconiquement que tel n’est pas le cas d’un contrat de concession d’une durée de vingt ans qui prévoit « sans davantage de précisions » la possibilité de son renouvellement tacite pour une période identique.

La solution est rigoureuse et appelle clairement à des arbitrages dans la rédaction de clauses contractuelles notamment en matière de renouvellement des droits, entre la protection des droits du licencié, et le risque de se voir refuser le passage en charges des redevances.

Sylvie CANONGE
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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART

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