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CE, 9è et 10è ss-sect., 16 juillet 2014

Le Conseil d’Etat a récemment rendu une intéressante décision concernant les limites du champ d’application de la retenue à la source sur les droits d’auteur et droits la propriété industrielle versés par une entreprise française à des non résidents (article 182B du CGI). Le taux de cette retenue est a priori de 33,33%, sous réserve des atténuations prévues par les conventions fiscales conclues par la France.

Le Conseil d’Etat a ici jugé que la rémunération de la fourniture de logiciels par voie télématique ne correspond pas à des droits tirés de la propriété industrielle ou assimilés, passibles d’une retenue à la source, s’agissant d’un fournisseur éditeur de logiciels américain, dont le client français distributeur les achetaient à l’unité pour les revendre sur le marché européen.

Même si était en question le seul droit interne (article 182B du CGI), la solution ne va pas sans rappeler la recommandation de l’OCDE, concernant la distribution des logiciels. Les commentaires de l’OCDE sur la convention fiscale modèle concernant le transfert de logiciels visent à déterminer si leur rémunération relève des « redevances » potentiellement sujettes à retenue à la source dans le pays de l’acquéreur ou bien des bénéfices commerciaux ordinaires imposables uniquement dans l’Etat de résidence du fournisseur/vendeur. Pour l’OCDE, dans le cadre d’une transaction par laquelle un distributeur effectue des versements pour pouvoir acquérir et distribuer des copies d’un logiciel, mais sans acquérir le droit de reproduire ce logiciel, ces versements doivent être traités comme des bénéfices commerciaux, indépendamment du fait que les copies distribuées soient fournies sur un support matériel ou par voie électronique (ou du fait que le logiciel fasse l’objet d’adaptations mineures pour en faciliter l’installation). En effet, dans ces circonstances, la rémunération versée par le distributeur vise uniquement l’acquisition de copies du logiciel et non l’usage d’un droit quelconque d’exploiter les droits d’auteur sur le logiciel (Commentaires OCDE, C (12) n° 14.4).

A la lumière de ce raisonnement, on peut a priori s’étonner que le Conseil d’Etat n’ait pas tiré de conséquences du fait que le logiciel du fournisseur américain faisait l’objet d’une transmission par voie télématique puis d’une duplication par le distributeur français, qui assurait sa reproduction sur CD Rom et son emballage, pour la revente. Mais il semblerait que dans cette affaire, le contrat qui liait les parties ne prévoyait pas expressément la concession d’un droit de reproduction des logiciels que le distributeur aurait pu exercer comme bon lui aurait semblé. Au contraire, pour chaque logiciel vendu par la société distributrice, des clés informatiques étaient fournies et facturées par le fournisseur américain selon un tarif variable en fonction des qualités de l’acheteur final, et du nombre de postes d’utilisateurs. En outre, avant la mise en place du processus de transmission dématérialisé des logiciels, ils étaient fournis au distributeur français sur un support matériel, et avant comme après la dématérialisation, on comprend que les « produits » étaient acquis auprès du fournisseur américain selon la même procédure : commande, livraison, facturation, apparemment sans modification du contrat qui liait les parties.

Un autre élément était abordé mais est demeuré non formellement tranché dans cette affaire, en matière de TVA sur la fourniture de logiciels. L’administration avait appliqué sa position traditionnelle selon laquelle :

– les cessions de logiciels s’analysent en des prestations de services (et non en des ventes de biens meubles corporels) lorsque la cession intervient en l’absence de support matériel (transmission par voie électronique, par exemple), et ceci que l’opération porte sur des logiciels de série/standard ou sur des logiciels spécifiques dont l’adaptation aux besoins du client est prépondérante ;
– en matière de territorialité, la cession de logiciels transmis en l’absence de support matériel constitue des prestations immatérielles. L’article 259B.12° du CGI qualifie de prestations immatérielles les services fournis par voie électronique, et l’article 98C de l’Annexe II au CGI précise qu’en font partie la fourniture de logiciels et leur mise à jour.

A l’époque1 , comme actuellement2 , en cas de prestations immatérielles rendues à une entreprise française soumise à TVA par une entreprise étrangère, la TVA française est applicable et à autoliquider par la société française cliente. Concrètement, la TVA sur l’achat n’est pas facturée par le fournisseur étranger non établi en France, mais elle est à déclarer par l’acheteur dans sa déclaration de TVA, dans le cadre de la TVA collectée, ainsi que celui de la TVA déductible3 ; il s’agit d’un formalisme déclaratif sans impact en termes financiers. En cas d’oubli de l’autoliquidation, une amende de 5% est pourtant encourue, sanction sévère en l’absence de tout préjudice pour le Trésor. C’est cette amende qui était en litige dans l’affaire tranchée par le Conseil d’Etat, amende dont le bien-fondé avait été confirmé par la cour administrative d’appel. Mais de façon surprenante, l’administration en a accordé le dégrèvement avant que le Conseil d’Etat ne tranche le litige.

A l’époque des faits, n’était pas encore en vigueur le régime général d’autoliquidation de la TVA par les entreprises françaises clientes, au titre de la TVA française exigible non seulement sur les prestations de services mais également sur les ventes de biens effectuées par les entreprises étrangères non établies en France. Si tel avait été le cas, la contestation par la société française de la qualification de la transaction en tant que prestation de service immatérielle ne lui aurait pas permis pour autant de s’exonérer de l’amende encourue.

Quoi qu’il en soit, on ne peut que recommander de suivre la position de l’administration et pour un acheteur soumis à TVA de procéder à l’autoliquidation de la TVA française sur les logiciels acquis par téléchargement, quelle que soit l’étendue des droits qui lui sont conférés pour utiliser ou exploiter le logiciel.

Notons pour finir que dans cette affaire, le Conseil d’Etat s’est contenté de casser l’arrêt de la cour administrative d’appel qui lui était déféré, mais n’a pas tranché l’affaires au fond, préférant la renvoyer devant la cour administrative d’appel de Bordeaux afin qu’elle la réexamine au regard de l’application de la retenue à la source. Affaire à suivre donc…

1Aux termes de l’article 259B du CGI
2Aux termes de l’article 259.1 du CGI
3sauf à être soumis à des restrictions particulières de déduction de sa TVA

Sylvie CANONGE

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