Le 15 juillet 2025, la Commission a rendu un avis favorable à la mise en œuvre d’un accord de durabilité entre des producteurs de vin d’Occitanie et leurs clients, visant à fixer des prix indicatifs pour le vin biologique et le vin à « haute valeur environnementale » dans le secteur vitivinicole français.
Cet avis, rendu sur le fondement de l’article 210 bis du règlement (UE) n°1308/2013 dit « OCM » constitue la première mise en œuvre de cette disposition par la Commission européenne.
L’article 210 bis du règlement OCM : une dérogation aux règles de concurrence en faveur des accords de durabilité dans le domaine agricole
- Contexte et contenu de l’accord de durabilité
L’accord envisagé par les producteurs de vin répondant aux normes biologiques et HVE exerçant leur activité en Occitanie, a pour objet de fixer des prix d’orientation à un niveau couvrant les coûts d’une production conforme à l’une des deux normes de durabilité pertinentes (biologique ou HVE), en plus d’intégrer une marge bénéficiaire représentant jusqu’à 20 % de ces coûts. Les prix d’orientation sont fixés sur une base annuelle pour chaque norme et pour six cépages et l’accord doit rester en vigueur deux ans.
L’objectif de cet accord est d’encourager les producteurs à continuer de produire de manière durable, dans un secteur vitivinicole français en crise : excédent d’offre important, évolution des préférences des consommateurs et plus grande sensibilité aux prix de ces derniers du fait de l’inflation.
Dans ce secteur, les consommateurs de vin ignorent en effet souvent le coût de la production durable et, la production de vin biologique et de vin HVE est souvent moins rentable que la production de vin conventionnel. De nombreux producteurs de vin biologique ou HVE pourraient se tourner vers la production de vin conventionnel, ou cesser purement et simplement de produire du vin.
Les Vignerons coopérateurs de France ont fait usage de la possibilité prévue par l’article 210 bis du règlement OCM de demander à la Commission européenne un avis sur la compatibilité entre l’accord de durabilité envisagé avec l’article précité.
Après analyse méthodique et pédagogique des critères de l’article 210 bis, la Commission a émis un avis favorable. Cet avis est particulièrement intéressant en ce qu’il permet d’illustrer une dérogation possible aux règles de concurrence et plus particulièrement à l’article 101 du TFUE, lorsqu’un accord est justifié par des impératifs de durabilité.
- L’article 210 bis du règlement OCM constitue une exclusion à l’article 101 du TFUE
L’article 210 bis a été introduit par le règlement 2021/2117, dans le cadre de la réforme de 2021 de la politique agricole commune de l’Union aux fins de soutenir la transition vers un système alimentaire durable de l’Union et de renforcer la position des producteurs dans la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire.
Cet article instaure une exclusion à l’article 101§1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdisant de manière générale les accords entre entreprises restreignant la concurrence, et en particulier les accords conduisant à une augmentation des prix ou à une baisse des quantités.
Le champ d’application de l’article 210 bis comprend les accords, décisions et pratiques concertées des producteurs de produits agricoles qui ont trait à la production ou au commerce des produits agricoles et qui visent à appliquer une norme de durabilité supérieure à celle imposée par le droit de l’Union ou le droit national.
L’article 210 bis couvre tant :
- les accords horizontaux (entre producteurs agricoles),
- que les accords verticaux (accords entre producteurs de produits et autres opérateurs à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire).
Pour bénéficier de l’exclusion de l’article 101 du TFUE, l’accord doit remplir toutes les conditions de l’article 210 bis du règlement OCM et notamment :
- engager des producteurs agricoles ;
- concerner le commerce des produits agricoles ;
- viser à contribuer à plusieurs objectifs de durabilité et à appliquer des normes de durabilité supérieures à celles imposées par le droit de l’Union ou le droit national ;
- n’imposer que des restrictions de concurrence indispensables à l’application desdites normes.
Des lignes directrices longues de 58 pages[1]ont été publiées le 8 décembre 2023 par la Commission, afin d’expliquer le contexte de la dérogation à l’article 101 du TFUE, les conditions d’application de l’article 210 bis et enfin, pour apporter des exemples concrets et pédagogiques d’accords susceptibles de bénéficier de l’exclusion.
Ces lignes directrices introduisent également un diagramme didactique afin de déterminer si un projet peut être susceptible de bénéficier de l’exclusion prévue à l’article 210 bis.[2] En vertu de ce dernier, un accord serait susceptible de bénéficier de l’exclusion si les réponses sont les suivantes :
- L’initiative résulte t’elle d’un accord conclu par une association d’entreprises ? Oui
- L’accord a-t-il été conclu avant l’entrée en vigueur de l’article 210 bis, à savoir le 8 décembre 2021 ? Non
- Y a-t-il au moins un producteur ou une organisation de producteurs qui soit partie à l’accord de durabilité ? Oui
- L’accord couvre t’il les produits énumérés à l’annexe I du TFUE ? Oui
- L’accord vise t’il à contribuer à l’un des objectifs visés à l’article 210 bis, §3 ? Oui
- La ou les normes de durabilité sont-elles supérieures à celles imposées par le droit de l’Union ou le droit national ? Oui
- L’accord conduit il à une restriction de concurrence ? Oui
- Les restrictions sont-elles indispensables pour appliquer les normes de durabilité ? Oui
- L’accord exclura t’il la concurrence ou menacera t’il les objectifs énoncés à l’article 39§1 du TFUE après sa mise en œuvre ? Non
Le critère du caractère indispensable de l’accord de durabilité et le cas échéant, de la restriction de concurrence constitue l’élément central et préalable de l’analyse de la Commission européenne.[3] Cette analyse peut conduire la Commission européenne à apprécier si des solutions alternatives non restrictives de concurrence auraient pu être choisies en lieu et place de l’accord de durabilité proposé. Pour illustration, la Commission européenne a considéré que la fixation d’un prix indicatif recommandé était moins contraignante que la mise en place d’un prix minimal de vente à respecter.
Le champ des objectifs de développement durable auquel l’accord de durabilité doit contribuer est large :
- objectifs environnementaux, y compris l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à celui-ci, l’utilisation durable et la protection des paysages, de l’eau et du sol, la transition vers une économie circulaire, y compris la réduction du gaspillage alimentaire, la prévention et la réduction de la pollution, et la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes ;
- production de produits agricoles selon des méthodes permettant de réduire l’utilisation de pesticides et de gérer les risques résultant d’une telle utilisation, ou de réduire le risque de résistance aux antimicrobiens dans la production agricole ;
et ;
- santé et bien-être des animaux.
L’avis de la Commission européenne est important à plusieurs titres : Si cet avis n’a pas de valeur juridique contraignante, il s’agit cependant de la première application de l’article 210 bis du règlement OCM. Il permet aux acteurs du secteur agricole de disposer d’une illustration concrète de l’appréciation par la Commission des critères posés par cet article. Il envoie un message fort aux producteurs agricoles souhaitant mettre en œuvre des accords en faveur du développement durable. Teresa Ribera, vice-présidente exécutive chargée d’une transition propre, juste et compétitive a d’ailleurs précisé suite à cet avis que : « Nous espérons que d’autres suivront avec leurs propres initiatives en faveur de la durabilité ». Il constitue une illustration supplémentaire de la prise en compte des enjeux environnementaux et sociétaux par le droit de la concurrence et ses acteurs. Cet avis fait notamment écho à l’adoption par l’Autorité de la concurrence française (ADLC) le 29 janvier 2025 d’orientations informelles en matière de développement durable, rendues dans le cadre d’un communiqué adopté le 27 mai 2024. Elle a examiné pour la première fois en février 2025 des faits entrant potentiellement dans le champ d’application de l’article 210 bis du règlement OCM.[4] L’ADLC pratique la politique de la « porte ouverte », afin de permettre aux acteurs souhaitant développer des projets vertueux nécessitant cependant une analyse parfois complexe au regard des règles de concurrence, de bénéficier d’orientations pour leur permettre une meilleure auto-évaluation de la compatibilité du projet envisagé au regard des règles de concurrence. |
[1] Lignes directrices de la Commission sur l’exclusion de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour les accords de durabilité des producteurs agricoles en vertu de l’article 210 bis du règlement (UE) n°1308/2013.
[2] Lignes directrices C/2023/1446, page 48.
[3] Lignes directrices C/2023/1446, point 117 : « Les parties à un accord de durabilité doivent choisir la restriction qui a l’effet le moins négatif sur la concurrence tout en permettant d’appliquer la norme de durabilité ».
[4] Développement durable : L’Autorité de la concurrence publie des orientations informelles relatives à la création d’un système de prise en charge collective des surcoûts et risques associés à la transition agroécologique | Autorité de la concurrence.