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Chaque employeur contrarié par un salarié qui tient des propos désobligeants, voire déplacés, doit se méfier avant de procéder à son licenciement. Le salarié peut être protégé en qualité de lanceur d’alerte ou simplement au titre de sa liberté d’expression. Si tel est le cas, le licenciement peut être annulé et le salarié réclamer sa réintégration au sein de l’entreprise. Pour autant un salarié n’est pas autorisé à tout dire impunément. La Cour de cassation a récemment rendu une décision intéressante en la matière, publiée au bulletin (Cass. soc., 1er juin 2023, 22-11310).

En l’occurrence, le salarié était tout à la fois salarié et associé de l’entreprise dont il détenait 15% des parts sociales. Ne s’entendant manifestement plus avec son employeur, la question du rachat de ses parts sociales s’est posée. Le salarié a alors proposé de les vendre à un prix élevé et de rompre le contrat de travail par une rupture conventionnelle, en échange de quoi il s’engageait à renoncer au signalement d’une alerte. L’employeur n’a pas accepté. C’est ainsi que le salarié a adressé un courriel au président de la société pour manifester son désaccord avec la mise en place d’une carte de fidélité « en indiquant que la légalité ou la régularité de la procédure lui semblait douteuse ». L’employeur gouta peu la critique et licencia ensuite le salarié pour faute grave, lui reprochant « de monnayer la vente de ses parts à un prix exorbitant en contrepartie de sa renonciation au signalement d’une alerte » et qualifiant la dénonciation de « chantage » ou encore de « stratagème destiné à sortir de la société rapidement et battre monnaie ».

La cour d’appel saisie du litige prononça la nullité du licenciement considérant que la lettre de rupture faisait « état, dans son ensemble, de la dénonciation de faits pouvant recevoir une qualification pénale ». Les juges d’appel s’étaient donc situés sur le terrain du lanceur d’alerte, rappelant que « la bonne foi du salarié qui dénonce un délit est présumée » et jugeant qu’en l’espèce l’employeur n’apportait « pas d’élément probant renversant cette présomption ».

La décision d’appel est pourtant cassée. Après avoir rappelé les dispositions relatives au lanceur d’alerte applicables au litige (art. L1132-3-3 c. trav.) – selon lesquelles « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié (…) pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » – et que le grief énoncé dans une lettre de rupture « tiré de la relation par le salarié de faits qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser un crime ou un délit (…) emporte à lui seul la nullité du licenciement » (art. L1132-4 c. trav.), la haute juridiction reproche cependant à la cour d’appel de n’avoir pas constaté « que le salarié avait, dans le courriel litigieux, relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime et que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par ce message, le salarié dénonçait de tels faits ». En effet, la cour d’appel avait uniquement évoqué des faits « pouvant recevoir » une qualification pénale.

Il ne suffit donc pas au salarié de dénoncer des faits, la juridiction doit identifier l’éventuelle infraction pénale concernée et, si elle est constitutive d’un délit ou d’un crime (les contraventions ne sont pas concernées), constater que l’employeur ne pouvait légitimement pas ignorer que le salarié se situait sur ce terrain.

Ici, le salarié avait simplement indiqué que la légalité ou la régularité de la procédure relative à l’offre de carte de fidélité « lui semblait douteuse ». C’était un peu court. S’agissait-il d’une infraction pénale ? Rien d’évident. Faute pour la cour d’appel d’avoir procédé à cette caractérisation, son arrêt est cassé, à charge pour la cour de renvoi de procéder à ce travail.

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