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Cour de justice de l’Union européenne, 2ème ch., arrêt du 24 mars 2022 Austro-Mechana / Strato AG, C-43320

L’exception de copie privée est une exception au droit d’auteur. Celle-ci permet à une personne de reproduire et d’exploiter la copie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, dans un cadre privé.

En vertu de l’article 5, § 2, b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, les États membres ont la faculté de prévoir une telle exception s’appliquant aux reproductions effectuées sur « tout support ». Dans ce cas, ces États doivent s’assurer que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable, communément appelée redevance « copie privée ».

Dans un arrêt du 24 mars 2022, la CJUE s’est prononcée sur l’application de cette exception aux copies d’œuvres dans le cloud. Celle-ci a étendu l’assiette de la redevance « copie privée », en jugeant que l’exception pour copie privée s’applique au stockage en nuage (cloud) d’une copie à des fins privées d’une œuvre protégée.

Le litige au fond opposait une société de gestion collective de droits d’auteur autrichienne, à un fournisseur de service de stockage cloud, au sujet de la rémunération due au titre de la copie privée par ce dernier pour la fourniture de ce service.

La société de gestion collective a saisi les juridictions autrichiennes d’une demande de paiement de la rémunération pour copie privée. Le tribunal régional supérieur a sursis à statuer et a posé deux questions préjudicielles à la CJUE.

1)         Tout d’abord, la première question soumise à la Cour consistait à savoir si l’expression « reproductions effectuées sur tout support » de l’article 5, § 2, b), de la directive 2001/29/CE devait être interprétée en ce sens qu’elle couvre la réalisation, à des fins privées, de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur le cloud.

Sur la notion de « reproduction », la Cour a précisé que la réalisation d’une copie de sauvegarde d’une œuvre dans un espace de stockage en cloud constitue bien une reproduction de celle-ci. En effet, l’upload (soit le téléversement) de l’œuvre dans un cloud consiste bien à en stocker une copie.

Sur la notion de « tout support », la Cour répond que la notion doit être interprétée de manière large : elle vise l’ensemble des supports sur lesquels une œuvre protégée peut être reproduite, y compris les serveurs utilisés dans le cadre du cloud.

La CJUE souligne également que le fait que le serveur appartienne à un tiers n’est pas déterminant. Ainsi, l’exception de copie privée peut s’appliquer à des reproductions effectuées par une personne physique à l’aide d’un dispositif appartenant à un tiers.

Afin de justifier son interprétation, la Cour a également précisé, que l’’un des objectifs de la directive de 2001 est d’éviter que la protection du droit d’auteur dans l’UE devienne dépassée ou obsolète en raison de l’évolution technologique constante.

Selon la Cour, il n’y a donc pas lieu, de distinguer aux fins de l’application du régime de la copie privée, selon que la reproduction d’une œuvre protégée est effectuée sur un service de cloud ou est effectuée sur un support d’enregistrement physique.

2)         Par la suite, la Cour a dû répondre à une deuxième question préjudicielle concernant l’assujettissement des fournisseurs de service de cloud au paiement de la redevance litigieuse : une redevance supplémentaire doit-elle être payée par les fournisseurs de services de stockage en cloud au titre de la compensation équitable, dans la mesure où une redevance peut avoir déjà été payée par des personnes physiques lors de l’achat des appareils permettant la reproduction dans le cloud des œuvres ?

Concernant l’identification du redevable de la compensation équitable, selon la Cour, c’est en principe à la personne qui effectue la copie, à savoir l’utilisateur du service cloud, qu’il incombe de financer la compensation équitable.

Toutefois, la Cour a bien souligné les difficultés pratiques tenant à l’identification des utilisateurs finaux. Dans ce cas, les États membres peuvent instaurer une redevance pour copie privée à la charge du producteur ou de l’importateur des serveurs, au moyen desquels les services d’informatique en nuage sont proposés à des personnes privées. Cette redevance sera in fine supportée par l’utilisateur privé qui utilise ces équipements, lors de l’achat du service.

Concernant la forme et les modalités de la compensation équitable, selon la Cour, les États membres n’ont pas l’obligation d’assujettir les fournisseurs de stockage cloud à une redevance pour copie privée si le versement d’une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits est prévu d’une autre manière (notamment si ces pratiques de duplication sont prises en compte dans la détermination du taux de redevance qui pèse sur l’achat initial des supports et des appareils permettant ledit stockage par le cloud de l’utilisateur).

Cette position de la CJUE étendant la redevance « copie privée » aux services de stockage de cloud va dans le sens de la législation française, et notamment la loi « Liberté de création » de 2016, prévoyant déjà en son article 15 une redevance sur les services d’enregistreur vidéo personnel sur réseau (Network based personal video recorder ou nPVR).

Emilie CUER

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