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La reprise d’activité accélérée par le déconfinement va s’avérer une mission à haut risque pour les entreprises.

Les entreprises doivent reprendre leur activité, c’est une évidence. Sans chiffre d’affaires, pas de quoi payer les charges et les salaires. Dépôts de bilan et suppressions d’emplois sont inévitables. La reprise est donc essentielle pour tous.

Face à la crise inédite provoquée par la pandémie, les entreprises n’ont pas le choix, la reprise d’activité est une condition de survie. A cet égard, l’injonction du gouvernement fait sens et la date du 11 mai pour amorcer le déconfinement fixe un point de départ.

Mais le Covid 19 n’aura pas disparu à cette date, loin s’en faut et les entreprises devront donc (continuer à) tout mettre en œuvre pour que cette reprise d’activité ne mette pas en péril la santé des salariés. A cet égard également les injonctions du Gouvernement sont fermes : l’obligation de sécurité qui pèse sur les employeurs est renforcée en cette période à haut risque.

Reprise d’activité et prévention des risques sanitaires ; les deux injonctions sont nécessaires mais complexes à combiner pour l’employeur.

Le principe de prévention est inscrit de longue date dans le Code du travail. Rien de neuf sous le soleil du côté du principe. Mais sa mise en œuvre dans un contexte à risque exceptionnel peut se révéler un vrai casse-tête.

Et l’insécurité juridique est partout car au-delà des grands principes sur lesquels tout le monde s’accorde, les modalités concrètes de mise en œuvre, soit ne sont pas disponibles, soit ne sont pas clairement définies ou encore s’avèrent juridiquement non sécurisées.

Parmi les outils non disponibles, inutile de s’appesantir sur la pénurie de masques, de gel, de gants, de visières, de tests, de produits de désinfection efficaces. Il n’existe pas non plus d’outils organisationnels préprogrammés avec des critères de distanciation sociale.

Le flou artistique règne aussi sur certains process. Certes le Gouvernement donne des recommandations, participe à l’élaboration de fiches métiers et autres guides de bonnes pratiques et c’est un début.

Mais beaucoup reste à définir. Faut-il désinfecter un espace une fois par jour ? Deux, trois fois ? A chaque changement d’équipe ou après chaque passage de client ? Le masque mis à disposition peut-il être en tissu ou en papier ? Comment gérer les transports en commun sans lesquels bon nombre de salariés ne peuvent venir travailler ? Il faudra inventer, et arbitrer. Et le cas échéant il faudra assumer ses choix.

Enfin le fondement juridique de certaines pratiques laisse à désirer. Ainsi le contrôle des signes de maladie permet-il un contrôle des températures à l’entrée des sites ? La CNIL s’est opposée au relevé obligatoire des températures corporelles (dans un rappel du 6 mars 2020) ; pourtant plusieurs entreprises ont mis en œuvre des contrôles de températures (sans doute sans conservation ni traitement des données personnelles) et on peut les comprendre puisqu’il est imposé à l’employeur de tout mettre en œuvre pour assurer la santé des salariés et notamment d’être attentif aux symptômes du Covid 19. Principe de précaution oblige.

Une chose au moins est claire : l’employeur devra renseigner et mettre à jour très régulièrement le Document Unique d’Evaluation des Risques et s’assurer en permanence que les mesures de sécurité sanitaires mises en place sont suivies, et adaptées si besoin. Cette tâche devra sans doute être assignée à des salariés qui en feront des comptes-rendus réguliers.

Et l’employeur ne devra pas oublier le sort des télétravailleurs inhabituels lesquels, sans être soumis au risque d’une exposition sur site, sont exposés à d’autres contraintes psychiques vouées à perdurer au moins quelques semaines, le temps du déconfinement.

La santé doit commander la production et ainsi que le réclament les syndicats, le travail doit être adapté pour limiter les risques. Retour au Code du travail, une relecture attentive de l’article L.4121-2 s’impose pour se remettre en mémoire les principes généraux de prévention parmi lesquels :

  • Eviter les risques ;
  • Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
  • Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;
  • Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants,
  • Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

C’est donc un long chemin qui s’ouvre tout au long duquel les entreprises vont devoir avancer avec grande prudence. Et en concertation étroite avec les élus, les représentants syndicaux, les services de santé au travail et l’administration du travail.

La jurisprudence « Air France » (Arrêt n° 2121 du 25 novembre 2015, 14-24.444), par laquelle la Cour de cassation a (ré)affirmé que l’obligation de sécurité « de résultat » pesant sur l’entreprise devait s’apprécier comme une obligation de moyen renforcée, n’est pas remise en cause. Mais il faut considérer que le risque exceptionnel (et sa gravité potentielle) accroit le niveau d’exigence sur les moyens mise en œuvre pour s’acquitter de cette obligation de moyen. Plus le risque est grand, plus les précautions doivent l’être.

En dépit des bonnes volontés (employeurs comme salariés), il faut s’attendre à des contentieux portant sur des droits de retrait, des accidents de trajet, accidents du travail ou maladies professionnelles et fautes inexcusables. Les risques potentiels seront nombreux, et certains sérieux.

In fine, il appartiendra au juge d’apprécier si les décisions prises par l’employeur étaient – à ses yeux – correctement proportionnées. L’appréciation souveraine des juges du fond n’aura jamais autant mérité son nom et engendrera, il faut s’y attendre, un aléa peut-être un peu supérieur à celui qui résulte déjà habituellement de la « Justice des Hommes ».

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