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Cour de cassation, Chambre mixte, 12 mai 2025, 22-20.739, Publié au bulletin

La Cour de cassation a rendu, le 12 mai 2025, un arrêt important en matière de preuve dans les litiges de propriété intellectuelle. Par cette décision, la chambre mixte apporte des précisions sur les conditions de validité d’un constat d’achat réalisé par un huissier, en particulier lorsque le tiers acheteur n’est pas totalement indépendant de la partie requérante.

  1. Conditions de validité du constat d’achat : la question de l’indépendance du tiers acheteur

Une société s’estimant victime d’une contrefaçon de l’un de ses modèles avait fait établir plusieurs constats d’achat par un huissier de justice, suivis de saisies-contrefaçon.

Les achats en question avaient été réalisés par un stagiaire du cabinet d’avocats représentant le demandeur, accompagné de l’huissier qui réalisait les constats. Le demandeur a ensuite saisi le tribunal judiciaire de Paris pour faire constater les actes de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire.

Le tribunal avait alors rejeté la demande, considérant que le procès-verbal de constat d’achat était entaché de nullité, le tiers acheteur n’étant pas indépendant puisqu’il s’agissait d’un stagiaire du conseil de la partie requérante.

Saisie par le demandeur, la cour d’appel avait infirmé le jugement :  au nom du droit à la preuve, elle considère que cette circonstance ne suffit pas à invalider le constat. Elle condamne HP Design pour contrefaçon et concurrence déloyale et estime que les conditions de réalisation du constat n’ont pas porté atteinte à l’exigence d’un procès équitable. 

  1. L’appréciation au cas par cas de la valeur probante du constat d’achat

Saisie par le défendeur à l’action en contrefaçon, la Cour de cassation était amenée à trancher la question suivante :

L’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur justifie-t-elle l’annulation du procès-verbal de constat d’achat ?

Dans un arrêt du 12 mai 2025, la Cour répond par la négative :

  • Le défaut d’indépendance du tiers acheteur n’entraine pas nécessairement la nullité du constat ;
  • Il appartient au juge d’apprécier in concreto si ce défaut affecte la valeur probante du procès-verbal.

La Cour rappelle ici que le rôle du tiers acheteur est limité à l’acte d’achat. Ainsi, même en l’absence d’indépendance totale, la preuve peut rester recevable si les constations demeurent objectives.

De plus, elle souligne que le procès-verbal mentionnait clairement l’identité et la qualité du stagiaire et que l’huissier avait contrôlé toutes les étapes de l’opération. En l’absence de stratagème ou de dissimulation, la loyauté dans la constitution de la preuve n’est donc pas remise en cause.

Cette position s’appuie notamment sur la directive 2004/48/CE, qui impose aux Etats membres de ne pas rendre inutilement complexes les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle.

  1. Cumul des actions en contrefaçon et concurrence déloyale : la Cour rappelle les exigences jurisprudentielles

Sur le fond, la Cour de cassation : 

  • Confirme la condamnation pour contrefaçon ;
  • Casse partiellement l’arrêt d’appel sur la concurrence déloyale.

Elle rappelle que les deux actions sont juridiquement distinctes et que, pour être retenue, l’action en concurrence déloyale doit reposer sur des faits spécifiques, distincts de ceux déjà qualifiés de contrefaçon.

Or, en l’espèce, la cour d’appel s’était contentée d’examiner un seul acte matériel (à savoir la commercialisation de la valise litigieuse) pour fonder à la fois la contrefaçon et la concurrence déloyale.

En l’absence de faute autonome caractérisée, la Cour casse donc cette partie de l’arrêt.

  1. Portée de l’arrêt : Un revirement jurisprudentiel en matière probatoire

Dans un arrêt de 2017 (Civ.1ère, 25 janv. 2017, n°15-25.210), la Cour de cassation avait considéré que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve s’opposait à ce qu’un stagiaire du cabinet d’avocats de la requérante réalise un constat d’achat, en raison de son absence d’indépendance.

Désormais, la Cour assouplit cette exigence, tout en réaffirmant l’importance du principe de loyauté.

 Dans ce nouveau cadre, les cabinets peuvent donc à nouveau, sous réserve de transparence et de contrôle du commissaire de justice, recourir à leurs stagiaires pour réaliser des constats d’achat, sans porter atteinte au droit à un procès équitable.

Lucile Fauchoux

élève avocate au sein du département propriété intellectuelle

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