CA Paris, Pôle 5 , chambre 2, 22 novembre 2024, n°22/11168
En matière de prescription, la distinction est désormais classique entre la prescription du droit lui-même qui est imprescriptible, de la prescription de l’action visant à sanctionner une atteinte qui se prescrit selon les règles du droit commun.
Ce nouvel arrêt est néanmoins l’occasion pour la Cour de confirmer sa jurisprudence sur le point de départ de la prescription des actions en paiement en réparation des atteintes aux droits patrimoniaux et moraux d’auteur.
En l’espèce, un auteur, ancien membre d’un orchestre, revendiquait la qualité de co-compositeur d’une œuvre musicale, ayant fait l’objet d’un contrat de cession et d’édition par deux autres membres du même orchestre le 22 octobre 1998 et déposée à la SACEM, le même jour.
Dès 1998 des discussions s’étaient engagées entre les deux coauteurs et le co-compositeur à la suite desquelles la SACEM avait bloqué entre les années 2000 et 2010 la part de redevances attribuée au compositeur compte tenu de la réclamation. Le compositeur décide finalement d’assigner le 10 décembre 2015, le compositeur déclaré, l’éditeur et la SACEM, puis en intervention forcée, les héritiers du co-auteur décédé, afin de revendiquer sa qualité de co-compositeur, d’obtenir la modification de la documentation SACEM et réparation de ses préjudices moraux et patrimoniaux du fait des actes de contrefaçon.
En défense, les coauteurs et l’éditeur soulevaient la prescription tant de l’action en revendication que de l’action en paiement en réparation des préjudices que la co-compositeur prétendait avoir subis.
Le tribunal judiciaire déclare le co-compositeur recevable en sa demande en revendication de la qualité d’auteur sur l’œuvre mais irrecevable en ses demandes en paiement de créances nées des atteintes à ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur antérieurement au délai de 5 ans précédant l’introduction de son action.
Le compositeur initialement déclaré interjette appel afin de voir infirmer le jugement sur la recevabilité. Il soutenait qu’en application de la prescription quinquennale, l’action en contrefaçon était prescrite, peu important que le caractère contrefaisant s’inscrive dans la durée car le co-compositeur avait découvert le dépôt de l’œuvre dès 1998 et avait connaissance de la cession des droits d’auteur dès 2001 à l’éditeur.
La Cour rappelle la distinction entre la prescription de la jouissance des droits composant le droit d’auteur de celle de l’action visant à sanctionner une atteinte à ce dernier, laquelle se prescrit selon les règles du droit commun. Ainsi, la demande en revendication de la qualité d’auteur, qui est attachée à la qualité d’auteur, est imprescriptible en application de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle. La Cour confirme donc sans surprise le jugement sur ce point.
S’agissant de l’action en réparation des atteintes portées aux droits de l’auteur, elle se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de de ceux-ci a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, le co-compositeur avait reconnu avoir eu connaissance de la violation de ses droits dès 1998, suite au dépôt à la SACEM. A cette date, la prescription applicable était décennale. A la suite de la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008 et par application des dispositions transitoires mises en œuvre, la prescription en l’espèce était acquise le 22 octobre 2008, même si la contrefaçon alléguée s’inscrivait dans la durée, cet élément n’ayant pas pour conséquence de faire courir une nouvelle prescription.
La Cour infirme en conséquence le jugement et juge que les demandes du co-compositeur en paiement des créances nées des atteintes à ses droits patrimoniaux et moraux sont irrecevables car prescrites. La Cour écarte toute interruption de la prescription par application de l’article 2240 du Code civil, jugeant que les actes invoqués ne caractérisaient pas la reconnaissance des droits d’auteur du co-compositeur à défaut d’émaner des co-auteurs de l’œuvre musicale.
Il sera rappelé qu’en mai 2023, la Cour d’appel de Paris avait déjà retenu la prescription de l’action en contrefaçon malgré la poursuite des faits argués de contrefaçon au jour de l’assignation (Cf. Netcom mai 2023, CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 mai 2023, n°21/15795).
Sur le fond, la Cour confirme le jugement et reconnait la qualité de co-auteur sur l’œuvre musicale de collaboration et fixe le nouveau partage des droits au titre de la composition. Compte tenu de l’irrecevabilité des demandes en paiement, aucune somme en réparation n’est allouée au co-compositeur ; l’éditeur et les co-auteurs initialement déclarés étant uniquement condamnés à verser chacun au co-compositeur la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 CPC.
Une position de la Cour de cassation est prochainement attendue sur cette question.