CA Douai, 1ère ch., 12 juin 2025, n°22/05989
La marque détenue par un dirigeant peut-être un sujet préoccupant pour les entreprises lors de la sortie de ce dirigeant.
Une régularisation peut intervenir par le biais d’une cession au profit de l’entreprise mais à défaut d’accord, la société dispose d’une action en revendication dès lors que l’intention frauduleuse du déposant est établie.
En l’espèce, préalablement à l’immatriculation de la société, l’un des fondateurs enregistre à son nom, le nom de domaine et dépose auprès de l’INPI la marque verbale n° 3822105 « Novogreen Chemicals » qui deviendra également la dénomination sociale de l’entreprise. Ce fondateur désigné président de la société à compter de sa création est ensuite démis son mandat.
Quelque temps plus tard, il adresse à la société Novogreen Chemicals un contrat de licence de la marque aux termes duquel il proposait un droit d’entrée de 75.000 euros et une redevance d’exploitation de 5 % du chiffre d’affaires par année d’exploitation. L’ancien dirigeant indiquait que si la licence avait été consentie à la société à titre gratuit pendant qu’il dirigeait la société, toute utilisation de ses droits de propriété intellectuelle sans autorisation après son départ constituait un acte de contrefaçon de sa marque. Il sommait la société de cesser immédiatement tout usage du nom à titre de dénomination sociale si la société ne souhaitait pas s’engager dans une démarche contractuelle.
La société Novogreen Chemicals considérant que la marque litigieuse avait été déposée alors qu’elle était en cours de constitution pour son compte par l’ancien dirigeant, l’assigne aux cotés de sa société nouvellement créée, en revendication de la marque et de celles déposées ultérieurement également au nom de l’ancien dirigeant, du nom de domaine ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement du 23 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Lille juge la société Novogreen Chemicals recevable à agir en revendication des marques et ordonne le transfert des marques et des noms de domaine à la société.
Le tribunal condamne en outre l’ancien dirigeant à payer à la société Novogreen Chemicals la somme de 150 000 euros au titre de l’appropriation frauduleuse des marques et in solidum avec sa nouvelle société à payer la somme de 250 000 euros au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
L’ancien dirigeant et sa société interjettent appel de l’ensemble des chefs du jugement. En appel, ils soutenaient la prescription de l’action en revendication dès lors que la mauvaise foi condition déterminante à cette action n’étant aucunement établie. L’ancien dirigeant faisait notamment valoir qu’il était le fondateur de la société et que le dépôt des marques était antérieur à la création de la société de même que l’enregistrement des noms de domaine.
La Cour rappelle que l’intention frauduleuse consiste dans la connaissance qu’a le déposant des droits ou de l’usage auquel il porte atteinte. L’intention, élément subjectif, doit être déterminée par référence à l’ensemble des facteurs pertinents propres au cas d’espèce, les faits postérieurs au dépôt pouvant être pris en compte pour interpréter l’intention du déposant et établir la mauvaise foi.
La Cour relève comme l’avait retenu le tribunal, qu’en l’espèce, quand bien même l’ancien dirigeant avait pris une part très active dans la création de la société, il n’en était pas le seul instigateur et créateur, le nom de la société et la marque étaient évoqués dès avant l’enregistrement auprès de l’INPI et surtout, l’ensemble des démarches ayant été engagé en concertation avec les futurs associés qui avaient donné leurs avis sur les futures activités.
Les pièces produites démontrent l’existence d’un projet commun et des choix concertés pour le nom de la future société, de la marque, du nom de domaine et des logos.
Selon la Cour, la fraude aux droits des associés est établie, l’ancien dirigeant ayant, en parfaite connaissance, enregistré les marques sous son nom, sans en informer ses associés, dans le but d’en tirer un profit personnel, ce qui s’est manifesté lorsqu’il a proposé à son départ de la présidence un contrat de licence de la marque.
Dès lors, les appelants ne peuvent opposer de prescription à l’action en revendication. La Cour fait droit à l’action en revendication et confirme la condamnation à 150.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de l’usage de la marque et du nom de domaine, ayant contraint les dirigeants à déposer un nouveau nom de domaine et de nouvelles marques.
La Cour confirme également la condamnation pour concurrence déloyale au motif que l’ancien dirigeant et sa société par leurs comportements déloyaux et fautifs ont cherché à capter une partie de la clientèle en entretenant la confusion et en désorganisant la société Novogreen. La Cour retient que l’enregistrement des marques et la rétention du nom de domaine, élément d’identification et de reconnaissance auprès du public de la société, constitue un détournement d’un élément majeur du patrimoine de cette société de nature à la priver d’un élément d’identification auprès des clients et à la désorganiser.
La condamnation à hauteur de 250.000 euros est maintenue sur la base de l’attestation de la société d’expertise comptable établissant que la société avait perdu des clients et que certains avaient passé moins de contrats.




