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L’obligation qui tient lieu de clef-de-voûte au système HADOPI (art. L.336-3 CPI) n’est autre qu’une nouvelle rédaction d’une obligation figurant déjà dans le Code de la propriété intellectuelle depuis la loi DADVSI (art. L.335-12 CPI). En effet, le projet de loi ne modifie pas les règles applicables aux atteintes à un droit de propriété littéraire et artistique, mais prévoit des sanctions à l’encontre du titulaire de la connexion à Internet utilisée pour commettre de tels actes contrefaisants.

Aux termes du projet de loi, tout abonné à Internet doit veiller à ce que personne ne porte atteinte à un droit de propriété littéraire et artistique en utilisant sa connexion à Internet (1). Après la délivrance d’au moins deux « recommandations », une procédure de sanction pourra être engagée (2), exposant l’abonné à la suspension de sa connexion ou à une injonction (3), à moins que la HADOPI ne lui propose de transiger (4).

1. L’obligation « de vigilance » de l’abonné

• Le nouvel article L.336-3 CPI crée, à la charge de l’abonné d’un accès à Internet, une « obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins [d’exploitation d’une œuvre, d’un enregistrement ou d’un programme] sans l’autorisation des titulaires de droits [d’auteur et de droits voisins] lorsqu’elle est requise ».

L’article L.335-12 CPI (abrogé selon le projet de loi HADOPI) prévoit que l’abonné d’un accès à internet « doit veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé à des fins [d’exploitation d’œuvres] sans l’autorisation des titulaires de droits [d’auteur et de droits voisins] lorsqu’elle est requise, en mettant en œuvre les moyens de sécurisation qui lui sont proposés par [son fournisseur d’accès] ».

En lieu et place de l’obligation actuelle d’installer un logiciel de sécurisation afin de veiller à ce que sa connexion ne soit pas utilisée à des fins illicites, l’article L.336-3 CPI du projet de loi HADOPI crée une obligation de surveillance plus large.

L’installation d’un « moyen de sécurisation » n’est plus une obligation mais devient un mode d’exonération de responsabilité, si le logiciel installé figure parmi ceux « labellisés » par la HADOPI.

• Cette obligation crée une forme de responsabilité du fait d’autrui, puisque l’abonné pourra voir sa responsabilité engagée si c’est un tiers qui commet un acte illicite d’exploitation d’une œuvre, d’un enregistrement ou d’un programme en utilisant la connexion dont cet abonné est titulaire.

Pour que l’abonné soit responsable, il semble en tout état de cause nécessaire d’établir au préalable qu’un acte de contrefaçon a été commis.

• Le manquement à l’obligation dite de vigilance doit être distingué de la responsabilité résultant d’une action en contrefaçon, la responsabilité résultant de son obligation de vigilance n’étant pas exclusive de responsabilité au titre de la contrefaçon.

De surcroît, le projet de loi crée un nouvel article L.336-2 CPI selon lequel, en cas d’atteinte à un droit de propriété littéraire et artistique « occasionnée par le contenu d’un [site Internet] » le tribunal de grande instance peut être saisi aux fins d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte (…) à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier » ; personnes au nombre desquelles le titulaire de l’abonnement à Internet ne peut sans doute pas être exclu.

2. Recommandations et procédure de sanction

• Au sein de la HADOPI, la « commission de protection des droits » est l’organe chargé de prendre les mesures dites de « recommandation » et les mesures de sanction.

La Commission agit sur saisine d’agents assermentés ou sur la base d’informations transmises par le Parquet et s’agissant de faits ne « remontant [pas] à plus de six mois » (art. L.331-24 CPI).

• Lorsqu’elle est saisie de faits « susceptibles de constituer un manquement à l’obligation [de vigilance] », la Commission « peut » faire adresser par le FAI une « recommandation » à l’abonné par courriel, lui rappelant son obligation de vigilance et les sanctions encourues, et lui indiquant la date et l’heure des faits constatés.

Les contenus dont l’exploitation illicite aurait échappé à la vigilance de l’abonné ne lui sont pas divulgués, mais il peut formuler des observations et obtenir sur demande « des précisions sur le contenu » concerné. En revanche, « le bien-fondé des recommandations (…) ne peut être contesté qu’à l’appui d’un recours dirigé contre une décision de sanction », c’est-à-dire devant les juridictions judiciaires saisies d’un recours en annulation ou en réformation de la décision de sanction.

• Si dans les six mois suivant cet envoi, la Commission est à nouveau saisie de tels faits, elle « peut » à nouveau rendre l’abonné destinataire d’une « recommandation » dans les mêmes conditions et a la faculté de l’adresser concomitamment par lettre remise contre signature (ou tout autre mode permettant de prouver la date d’envoi). • Si dans l’année suivant l’envoi d’une telle lettre « il est constaté que l’abonné a méconnu l’obligation [de vigilance] », la Commission « peut » prononcer des sanctions à l’issue d’une procédure contradictoire.

La Commission conserve donc à chaque saisine l’opportunité des poursuites, et même dans le cas où un manquement est effectivement constaté dans les conditions permettant une procédure de sanction, la Commission choisit, à sa discrétion, de poursuivre, de juger ou de transiger.

• Hormis les autres moyens de défense invoqués par l’abonné pour contester le bien-fondé du manquement reproché, aucune sanction ne pourra être prise à son égard dans quatre hypothèses :
– si un moyen de sécurisation labellisé par la HADOPI a été « mis en œuvre » ;
– si l’auteur de la contrefaçon a frauduleusement utilisé l’accès à Internet de l’abonné ;
– si l’abonné s’est confronté à un cas de force majeure ;
– si tous les ayants droit de l’œuvre, de l’enregistrement ou du programme concerné résident dans un État étranger « à régime fiscal privilégié » (au sens de l’art. 238 A du CGI).

3. Sanctions

Le cas échéant, la commission prononce à titre de sanction la suspension de l’accès à Internet ou une injonction à l’encontre de l’abonné (art. L.331-27 CPI), étant précisé que « les mesures prises par la commission de protection des droits sont limitées à ce qui est nécessaire pour mettre un terme au manquement à l’obligation définie à l’article L.336-3 » (art. L.331-25 CPI). Ces sanctions « peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution ».

• La suspension de l’accès à Internet peut être d’une durée de 2 mois à 1 an. Pendant cette période l’abonné ne pourra pas souscrire de nouvel abonnement chez un autre fournisseur et sera inscrit au répertoire des personnes faisant l’objet d’une suspension (que les FAI auront l’obligation de consulter avant tout nouveau contrat).

La suspension s’applique uniquement à « l’accès à des services de communication au public en ligne et de communications électroniques » et non aux services de téléphonie ou de télévision associés en cas d’offre groupée.

En cas de suspension, l’abonné devra continuer à verser le prix de son abonnement à son FAI (art. L.331-30 CPI) et ne pourra bénéficier des dispositions de l’article L.121-84 du Code de la consommation, qui permettent notamment de résilier son contrat sans pénalité en cas de modification des conditions contractuelles de fourniture d’un service de communications électroniques.

• Alternativement, la Commission peut prononcer une injonction à l’encontre de l’abonné, le cas échéant sous astreinte, « de prendre, dans un délai qu’elle détermine, des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté, notamment un moyen de sécurisation [labellisé] ». En réalité, l’injonction se résumera certainement à ce seul exemple donné par la loi.

• Enfin, les décisions de sanction doivent être motivées et préciser les raisons pour lesquelles les éléments recueillis lors de la procédure contradictoire ne sont pas suffisants pour « mettre en doute l’existence du manquement présumé à l’obligation de vigilance définie à l’article L.336-3, non plus que pour retenir l’existence d’une cause d’exonération ».

On peut noter qu’il est question ici de manquement « présumé », alors que la sanction ne peut être prononcée en principe que dans un cas où le manquement aura été « constaté ».

• La décision de sanction peut faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation devant les juridictions judiciaires (qui seront déterminées par décret) dans un délai de 30 jours francs suivant la notification (délai qui se compute donc différemment d’un délai d’appel).

4. Transaction

• Avant d’engager une procédure de sanction, la commission de protection des droits « peut proposer une transaction à l’abonné qui s’engage à ne pas réitérer le manquement constaté (…) ou à prévenir son renouvellement ».

Cette transaction « peut » prévoir que l’abonné sera soumis à des sanctions moindres à savoir « une suspension de l’accès (…) d’un mois à trois mois (…) » ou « une obligation de prendre, dans un délai que la commission de protection de droits détermine, des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement, notamment un moyen de sécurisation » (art. L331-38 CPI).

À nouveau, l’opportunité de cette mesure et des concessions faites est laissée à la discrétion de la HADOPI.

• En cas d’inexécution par l’abonné des obligations auxquelles il s’est engagé en acceptant la transaction, la Commission pourra prononcer l’une des sanctions applicables dans le cadre de la procédure de sanction, notamment une suspension de connexion d’une durée maximale d’un an ou une injonction qui pourra être assortie d’une astreinte.

Philippe ALLAEYS

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