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CJUE, 8 septembre 2016, GS Media BV / Sanoma Media

Depuis l’arrêt Svensson et l’ordonnance BestWater International, lorsqu’une œuvre est déjà librement accessible sur internet, ne constitue pas un acte de « communication au public » le fait de placer un lien hypertexte redirigeant vers le site où se trouve cette œuvre. La CJUE, par ce nouvel arrêt, vient préciser sa jurisprudence relative à cette notion de « communication au public », soumise à autorisation du titulaire des droits.

 

En l’espèce, GS media est une société qui exploite un site internet d’actualités à scandale en Hollande. En 2011, elle publie un article contenant un lien hypertexte renvoyant les lecteurs vers un site australien qui propose de visionner une série de photos publiées sur le site sans l’accord de Sanoma, société éditrice du magazine Playboy et titulaire des droits sur les photos.

Sanoma demande à GS Media de supprimer le lien hypertexte à plusieurs reprises, mais cette dernière refuse de s’exécuter, réitérant même son acte, et l’éditeur des photos assigne l’exploitant du site internet devant les tribunaux hollandais.

Le litige conduit les parties devant la Cour de cassation hollandaise, qui sursoit à statuer afin d’opérer un renvoi préjudiciel devant la CJUE. L’objet du renvoi est de faire préciser à quelles conditions, le fait de fournir un lien hypertexte qui renvoie vers des œuvres protégées publiées sur un site internet sans autorisation du titulaire des droits d’auteur, constitue une « communication au public », au sens de la directive 2001/29.

La Cour de Justice estime dans un premier temps que la notion de « communication au public» doit faire l’objet d’une appréciation individualisée en considération de plusieurs critères. Tout d’abord il y a communication au public lorsque celui qui publie l’œuvre a conscience de son comportement frauduleux et de ses conséquences. Ensuite, la notion de public vise un nombre indéterminé de destinataires, nombre qui doit être néanmoins assez important. Et la Cour explique que le caractère lucratif de la « communication au public » est une condition pertinente.

Mais la Cour déclare qu’il ne peut être déduit de sa jurisprudence antérieure que la fourniture de liens renvoyant vers un site où les œuvres ont été publiées sans l’autorisation du titulaire, serait exclue, par principe, de la notion de « communication au public ».

En effet, internet est un instrument important pour la liberté d’expression et d’information et les hyperliens contribuent largement à son bon fonctionnement, même s’il est souvent difficile pour les personnes qui fournissent un lien hypertexte de savoir si les tiers qui publient les œuvres sur leur site ont bien obtenu l’autorisation du titulaire.

En raison de ces particularités, la CJUE répond à la question en distinguant deux situations spécifiques.

Elle estime que, dans l’hypothèse où la personne qui fournit le lien ne poursuit pas de but lucratif, il convient, pour apprécier si il y a communication au public, de tenir compte du fait que cette personne sait ou ne peut pas raisonnablement savoir si l’œuvre a été publiée sur le site tiers avec ou sans l’autorisation du titulaire.

Ainsi, si la personne sait que le lien qu’elle fournit renvoie vers une œuvre illégalement publiée, alors cette fourniture du lien constitue bien une « communication au public ». Cette connaissance de l’illégalité de la publication peut provenir par exemple du fait que le titulaire du droit l’a informé de la situation. Et la solution est la même si le lien permet de contourner des mesures de restriction prises par le site qui publie l’œuvre protégée pour en restreindre le public aux seuls abonnés.

En revanche, toujours dans l’hypothèse où il n’y a pas de finalité lucrative, si la personne n’a pas connaissance de ce que la publication contrevient aux droits d’auteur, il n’y aura pas de « communication au public ».

La seconde hypothèse concerne le cas où le placement d’un lien hypertexte est effectué dans un but lucratif. Sur ce point, la Cour considère qu’il doit être attendu de celui qui fournit le lien, qu’il fasse les démarches nécessaires pour savoir si la publication des œuvres sur le site internet tiers est faite avec l’autorisation du titulaire ou non. En conséquence, dans l’hypothèse où la publication contrevient aux droits d’auteur du titulaire, la CJUE estime que la personne est présumée savoir que les œuvres sont illégalement publiées sur le site. Cette présomption ainsi énoncée reste toutefois simple et peut donc être renversée. Néanmoins, dans le cas où la présomption ne peut être renversée, il s’agira alors d’une « communication au public ».

Ainsi la Cour considère en l’espèce que la fourniture du lien est faite à but lucratif et donc que le fournisseur a dû effectuer les démarches nécessaires pour se renseigner sur l’œuvre en question. Or, la société Sanoma n’avait pas autorisé la publication des clichés, et il y a donc une présomption que GS Media savait que les œuvres étaient publiées illégalement, présomption qu’elle n’est pas en mesure de renverser, Sanoma l’ayant informé à plusieurs reprises de la situation. La CJUE conclut donc qu’il y a bien une « communication au public » au sens de la directive 2001/29.

Ce nouvel arrêt établit que la finalité lucrative, c’est-à-dire la recherche d’un bénéfice, lors de la fourniture du lien hypertexte, est un élément central à prendre en compte lorsque le lien renvoie vers une œuvre publiée sans autorisation du titulaire. Cette décision de la CJUE conduit à instaurer un régime différent en fonction de cette finalité.

Geoffroy POUSSET

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART

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