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Cass. Soc. 4 novembre 2015, 14-25745

Lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention collective, ces clauses s’appliquent au contrat de travail, sauf stipulations plus favorables ; le salarié ne peut renoncer aux droits qu’il tient de la convention collective. En conséquence, le salarié en modalité 2 Syntec (convention de forfait en heures) doit au minimum percevoir un salaire égal au plafond de sécurité sociale (PASS). A défaut, la convention de forfait sera jugée inopposable et le salarié pourra réclamer des heures supplémentaires majorées.

Le 4 novembre dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt concernant une des modalités d’organisation du temps de travail prévue par la convention collective nationale du personnel des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil (ci-après Syntec). Au-delà de sa portée directe sur les dispositions concernées dans Syntec, cet arrêt rappelle le principe général d’application impérative, sauf stipulations plus favorables, des dispositions d’une convention collective.

L’article 3 du chapitre II de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail de la branche Syntec, prévoit la possibilité d’organiser le temps de travail des ingénieurs et cadres selon un forfait englobant « les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures », soit jusqu’à 38,5 heures par semaine. « La rémunération mensuelle du salarié n’est pas affectée par ces variations ». Au sein de la branche Syntec, ce forfait est appelé la modalité 2. D’après la haute juridiction, cette modalité « s’analyse en un forfait en heures » (Cass. Soc. 26 mai 2004, 02-10723).

Ainsi, l’employeur qui recourt à cette organisation du temps de travail peut faire travailler ses salariés jusqu’à 38,5 heures par semaine sans avoir à leur verser d’heures supplémentaires. Toutefois, l’article 3 susmentionné précise que « tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale ». C’est cette condition qui fait l’objet de la décision ici commentée (Cass. Soc. 4 novembre 2015, 14-25745).

La cour d’appel avait condamné l’employeur à verser un rappel d’heures supplémentaires pour toutes les heures hebdomadaires effectuées au-delà de 35 après avoir constaté que les salariés concernés ne percevaient pas un salaire au minimum égal au PASS. Devant la Cour de cassation, l’employeur prétendait que cette condition n’était « qu’une condition d’éligibilité du salarié nouvellement embauché selon les modalités … 2, au jour de la signature de l’accord, soit au 22 juin 1999, et non une condition minimale de rémunération imposée pour permettre l’applicabilité de la modalité 2 ». En d’autres termes, l’employeur affirmait qu’il s’agissait « d’une condition d’éligibilité temporaire au bénéficie de la modalité 2 au 22 juin 1999 » et non « d’une condition générale du bénéfice de ladite modalité ».

Cet argument a été écarté par la Cour de cassation qui a jugé que « seuls les ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale relèvent des modalités 2 » de Syntec. En conséquence, seuls les salariés percevant au minimum 38.040 € bruts annuels en 2015 (et 38.616 € en 2016) sont éligibles auxdites modalités 2.

La Cour de cassation a ajouté que « lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention collective, ces clauses s’appliquent au contrat de travail, sauf stipulations plus favorables et que le salarié ne peut renoncer aux droits qu’il tient de la convention collective ». Ce faisant, la haute juridiction rappelle le principe général selon lequel les dispositions d’une convention collective, sauf stipulations plus favorables, s’imposent à l’employeur et au salarié. Il n’est donc pas possible d’obtenir du salarié, même par voie contractuelle, qu’il renonce à ses droits conventionnels.

En conséquence, le salarié dont la rémunération n’est pas au minimum égale au PASS ne relève, en tout état de cause, pas de la modalité 2 ; la convention de forfait en heures qui en résulte est jugée inopposable. Son employeur ne peut donc pas prétendre que le salaire versé rémunère forfaitairement toutes les heures effectuées jusqu’à 38h30 chaque semaine. Ce dernier est alors exposé à une condamnation pour heures supplémentaires majorées.

Dans cette affaire, ni la cour d’appel, ni la Cour de cassation n’évoquent la disposition de l’article 3 susmentionné stipulant que « Le personnel ainsi autorisé à dépasser l’horaire habituel dans la limite de 10 % doit bénéficier d’une rémunération annuelle au moins égale à 115 % du minimum conventionnel de sa catégorie ».

Cela est dû au fait que ce niveau de rémunération n’est pas stipulé comme une condition d’accès aux modalités 2. En effet, alors que l’article 3 stipule que « les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de sécurité sociale », les 115 % du minimum conventionnel ne sont pas présentés comme une condition d’accès aux modalités 2 mais uniquement comme un bénéfice de rémunération.

En clair, le non-versement d’une rémunération équivalente à 115 % du minimum conventionnel, mais néanmoins au moins égale au PASS, donnera lieu à un simple rattrapage par rapport au minimum garanti afin que le salarié bénéficie effectivement d’une rémunération équivalente auxdits 115 % (Cass. Soc. 10 décembre 2014, 13-21313). En revanche, la convention de forfait ne sera pas jugée inopposable et l’éventuelle demande d’un rappel d’heures supplémentaires (effectuées entre 35 et 38h30 hebdomadaires) majorées sera écartée. La différence est significative. Par exemple, si un salarié perçoit un salaire égal ou supérieur au PASS mais équivalent à 113 % du minimum conventionnel de sa catégorie, il ne pourra prétendre qu’à un rappel de salaire sur les 2 % manquants. En revanche, si son salaire est inférieur au PASS, il sera considéré comme n’ayant jamais été en modalité 2 et pourra réclamer paiement d’un rappel d’heures supplémentaires majorées pour les heures effectuées au-delà de 35. A cet égard, il doit être souligné que, dans l’affaire commentée, la cour d’appel a jugé que les salariés concernés devaient être considérés comme ayant effectué systématiquement 3h30 supplémentaires par semaine puisque l’employeur revendiquait l’application de la modalité 2 qui induit un temps de travail égal à 38h30 hebdomadaires. La démonstration de l’existence des heures supplémentaires a donc été simplifiée pour les salariés ; la condamnation de l’employeur était inévitable.

Romain PIETRI

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