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Cass., Crim. 1er septembre 2020, F-P+B+I, n° 19-84.505
Cass., Crim., 1er septembre 2020, F-D, n°19-82.055

Dans deux arrêts du même jour, la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté des précisions sur la qualification d’actes de diffamation commis par un renvoi effectué via un lien hypertexte, rappelant que si l’insertion d’un lien constitue bien un nouvel acte de publication, il ne permet pas nécessairement à lui seul de caractériser la diffamation.

Dans la première affaire, une élue locale avait publié sur son compte Facebook un lien hypertexte renvoyant à une publication mise en ligne par une organisation d’extrême gauche sur son site, qui reprenait les accusations dont l’un de ses membres était l’objet et faisait part de son exclusion du groupe.

L’individu visé par la publication a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef de diffamation publique à raison du texte publié par l’organisation mais aussi en ce qu’il avait été reproduit ultérieurement, notamment par l’élue locale.

Celle-ci a été renvoyée devant le tribunal correctionnel qui l’a déclarée coupable. La Cour d’appel confirma le jugement, considérant que la circonstance que la diffamation ait été commise via un lien hypertexte était sans incidence, le renvoi opéré valant reproduction et nouvelle publication.

Outre la question de la prescription de l’action publique, la demanderesse au pourvoi critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a retenu la diffamation par l’insertion d’un lien hypertexte, sans procéder à un examen concret des circonstances de l’espèce et à une mise en balance des intérêts en présence. Selon elle, la Cour ne pouvait retenir sa responsabilité pénale alors qu’elle n’avait aucunement approuvé ou repris à son compte le contenu vers lequel le lien hypertexte renvoyait.

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel au visa, notamment, de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour de cassation rappelle qu’il résulte de ce texte, tel qu’interprété par un récent arrêt en date du 4 décembre 2018 « Maygar Jeti c. Hongrie », n°11257/16), que « les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement du réseau internet, en rendant les très nombreuses informations qu’il contient aisément accessibles, de sorte que, pour apprécier si l’auteur d’un tel lien, qui renvoie à un contenu susceptible d’être diffamatoire, peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu, à laquelle il procède, les juges doivent examiner en particulier si l’auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s’il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi. »

Tout en rappelant que « l’appréciation des juges sur ces éléments extrinsèques est souveraine », la Cour de cassation rappelle que les exigences résultant de l’article 10 de la CEDH telles qu’interprétées par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence constituent une grille d’analyse que les juges du fond se doivent d’appliquer.

Cet arrêt est à rapprocher de l’arrêt rendu le même jour par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans lequel la Cour était également amenée à se prononcer sur la diffamation commise en ligne par un renvoi, via un lien hypertexte, à un article publié sur un site tiers. En l’espèce, le site lesinrocks.com avait publié un article sur l’affaire Kadhafi-Sarkozy-Guéant dans lequel il évoquait le rôle du dirigeant d’un groupe français dans le financement de la campagne présidentielle de 2007. L’article comportait un lien hypertexte qui renvoyait à un article du quotidien Le Monde qui comportait des précisions sur ce financement. La Cour de cassation a considéré que « le renvoi par un lien hypertexte inséré dans l’article contenant le texte litigieux à un autre article, s’il peut ressortir à un élément extrinsèque au passage poursuivi et être susceptible de permettre l’identification de la personne visée, peut tout autant, compte tenu du lectorat et de la présence d’autres hyperliens, éléments relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, ne pas être regardé comme permettant effectivement cette identification. »

Il ressort ainsi de ces deux décisions que le contexte et les modalités de publication du lien seront déterminants dans l’appréciation des juges du fond.

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