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CA Poitiers, 1ère Ch. Civ., 25 novembre 2011

Une société mutuelle d’assurances a commandé une étude de faisabilité d’intégration d’un progiciel (sur lequel elle était titulaire d’une licence) auprès d’un prestataire informatique. A l’issue de cette étude, l’intégrateur a émis une proposition technique et financière que le client a acceptée et les parties ont dès lors conclu un « contrat d’intégration clé en main ».

Le projet a néanmoins pris un retard important dès son démarrage. Après échanges de mise en demeure et de réponses, les parties sont convenues d’actualiser le planning projet aux termes d’un protocole d’accord et de définir de nouvelles conditions financières sous forme forfaitaire. En outre, il était également envisagé que le protocole serait considéré comme caduc dans l’hypothèse où certaines conditions déterminées ne seraient pas établies.

A l’occasion d’un comité de direction (« codir »), il a été constaté que le projet revu n’était techniquement pas réalisable et les parties se sont donc à nouveau réunies afin de convenir de nouvelles modalités de réalisation du projet aux termes d’un second protocole d’accord.

Néanmoins, le projet a connu de nouvelles difficultés, le client a refusé de s’acquitter des factures émises par le prestataire et suite à de nombreux échanges de courriers, ce dernier a annoncé qu’il mettait fin au projet. A sa demande, une expertise a été ordonnée par le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre et le client a, parallèlement, assigné l’intégrateur devant le Tribunal de grande instance de Niort.

Par un jugement du 14 décembre 2009, l’intégrateur avait été condamné sur le fondement du dol, considérant notamment que celui-ci s’était engagé au titre d’un contrat d’intégration sans avoir évalué le risque présenté par le projet. L’intégrateur avait alors été lourdement sanctionné puisqu’outre la condamnation à restituer les sommes versées dans le cadre du projet (près de 1.700.000 euros), le tribunal l’avait également condamné à verser à son client près de 10 millions d’euros à titre de dommages et intérêts et 50.000 euros au titre de l’article 700 CPC. L’intégrateur a alors fait appel de ce jugement.

Dans un premier temps, la Cour d’appel a, en premier lieu, cherché à déterminer dans quelles conditions le contrat et les différents protocoles avaient été conclus et acceptés par le client. A ce titre, la Cour a rappelé que le client disposait d’un service juridique « très étoffé » et avait directement participé à la rédaction du plan projet ainsi qu’au calendrier, lequel était « réaliste », établi à la suite « d’un long processus d’étude des parties ». La Cour précise également que c’est le client qui avait imposé le forfait contractualisé à l’occasion du premier protocole d’accord. Dans ces conditions, la Cour a estimé que « c’est en connaissance des retards qui ont affecté les différents sous-projets, que [le client] a accepté la redéfinition des charges, la modification du planning ainsi que le prix et les conditions y afférentes, et ce afin d’y remédier ».

De manière plus générale, la Cour a également fait état d’éléments factuels (termes des différents contractuels, compte rendu de « codir »,…) aux termes desquels il est notamment apparu que certains dysfonctionnements étaient imputables « au fort cloisonnement, au manque de collaboration, de solidarité entre les différentes équipes [du client] » et que le client avait finalement accepté le plan après discussions et ce, « en parfaite connaissance des enjeux techniques du projet, de leur possible évolution ». C’est dans ce contexte que la Cour a infirmé le jugement et considéré que le dol ne pouvait être retenu en l’espèce dès lors qu’il n’était pas établi que l’intégrateur aurait « dissimulé de surcroît volontairement [au client] des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet ».

Dans un second temps, le client faisait état de manquements de l’intégrateur à ses obligations de résultat, caractérisées notamment par l’absence de livraison des prestations commandées de son seul fait. La Cour a néanmoins rappelé qu’en acceptant la mise en place d’un nouveau planning dans le but de ne pas compromettre leurs relations, le client avait renoncé à se prévaloir des engagements initiaux pris par l’intégrateur.

De plus, le client reprochait au prestataire de « s’être abstenu d’assurer une gestion prévisionnelle des risques lui permettant de mesurer leur impact et les solutions de contournement envisageables ». Néanmoins, les griefs du client à cet égard venaient en contradiction avec le rapport de l’expert, lequel faisait état (i) du respect par l’intégrateur de son obligation de conseil, celui-ci ayant pris le soin de discuter de tous les aspects techniques du projet avec le client, notamment des différents scénarios envisageables, (ii) et au contraire, de « l’absence de mise en place initiale (absente tant du plan projet que du contrat d’intégration) d’une cellule assurant dès le début du projet le suivi de cohérence des systèmes », ce qui a été estimé comme « un élément critique de ce projet ».

Enfin, et plus généralement, la Cour a pointé « l’attitude » du client, lequel aurait décidé de mettre un terme au projet, « indépendamment du fait que comme l’expert la relevé le projet était viable » à condition que le client accepte de revenir à des scénarios proposés par l’intégrateur, que l’expert avait qualifié « d’acceptables techniquement ».

En conséquence, la Cour a infirmé le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Niort et a condamné le client (i) à s’acquitter d’une facture (4.664.400 euros) assortie des intérêts de retard auprès de la banque du client (intervenue volontairement suite à la signature de conventions d’affacturage), (ii) à verser au prestataire 450.441,28 euros TTC au titre du remboursement des factures relatives aux conseils techniques privés engagés dans le cadre du litige et (iii) à verser au prestataire et à sa banque la somme respective de 50.000 euros au titre de l’article 700 CPC.

En revanche, la Cour a débouté l’intégrateur (i) d’une demande de paiement d’une facture dont il n’était pas démontré que le devis avait été accepté par le client et (ii) d’une demande indemnitaire (chiffrées à plus de 5 millions d’euros), considérant que le prestataire n’apportait pas la démonstration du préjudice réellement subi.

Cet arrêt confirme une nouvelle fois que le respect des obligations du prestataire est conditionné par la collaboration du client, laquelle constitue un élément essentiel à la bonne réalisation du projet informatique concerné.

A ce titre, il est intéressant de souligner que les juges ont analysé in concreto la compétence des parties en présence, et notamment celle du client afin de déterminer les conditions dans lesquelles les parties ont signé le contrat et en ont exécuté les termes. A ce titre, il convient de  rappeler l’importance du préambule d’un contrat d’intégration, lequel revêtira un aspect contextuel important en cas de litige puisqu’il permettra d’indiquer le processus dans lequel les parties ont décidé de contracter (mise en place d’un appel d’offres et des éventuelles réponses de prestataires, conditions de négociation et accord pour contractualiser en fonction du projet et des parties en présence,….)

Olivier HAYAT

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