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CA Paris, pôle 5 – Ch. 2 – 3 septembre 2010 (3 arrêts)

La Cour d’appel de Paris écarte la qualification d’hébergeur et retient la responsabilité des sociétés eBay AG et eBay Inc. au titre de leurs activités de courtage. Comme la Cour d’appel de Reims un mois auparavant, les juges parisiens reprennent la motivation de l’arrêt rendu le 23 mars 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne.

En l’espèce, des sites des sociétés eBay Inc et eBay AG (notamment eBay.fr) offraient à la vente des produits de luxe par voie d’enchères électroniques.

Les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy et Guerlain arguaient d’une atteinte à leurs réseaux de distribution sélective. Les sociétés Christian Dior Couture et Louis Vuitton Malletier reprochaient à eBay de promouvoir la vente de produits contrefaits et de ne pas retirer les annonces signalées comme suspectes.

Après avoir mis en demeure les sociétés eBay de cesser la diffusion des annonces litigieuses, elles assignèrent les sociétés eBay Inc. et eBay AG devant le tribunal de commerce de Paris.

Les juges devaient principalement déterminer le régime de responsabilité applicable aux activités des sociétés eBay.

Les sociétés eBay revendiquaient la qualité d’hébergeur au sens de l’article 14 de la directive e-commerce et de l’article 6-I-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), afin d’échapper à une obligation générale de surveillance des contenus stockées. Elles tentaient ainsi de ne pas être tenues responsables de la mise en ligne sur leurs sites des produits délictueux par les internautes.

Par trois jugements rendus le 30 juin 2008, le tribunal de commerce de Paris avait retenu la responsabilité des sociétés eBay sur le fondement du droit commun. Jugeant que les sociétés eBay avaient « manqué à leur obligation de s’assurer que leur activité ne générait pas des actes illicites », le tribunal les avait condamnées à verser environ 40 millions d’euros de dommages-intérêts.

Ayant interjeté appel, les sociétés eBay soutenaient qu’elles ne jouaient aucun rôle actif dans l’affichage et la rédaction des annonces, qu’elles n’effectuaient aucun contrôle éditorial avant la mise en ligne des contenus et que les utilisateurs décidaient seuls des objets proposés à la vente.

Elles arguaient que la qualité de « courtier aux enchères réalisées à distance par voie électronique », dont elles se prévalaient, entrait dans la catégorie des prestations d’hébergement de contenu.

Elles s’appuyaient notamment sur un arrêt de la Cour d’appel de Paris, selon lequel la société eBay n’était qu’« un intermédiaire technique, tiers à la conclusion de la vente, son intervention se limitant à héberger des annonces« . La Cour avait alors conclu que « l’activité de courtage aux enchères par voie électronique exercée par la société eBay relève donc de la définition de l’article 6- I- 2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique » (Cour d’appel de Paris, 9 novembre 2007).

Revenant sur cette solution, la Cour d’appel de Paris confirme les décisions entreprises sauf en ce qui concerne le rejet de l’exception d’incompétence et le montant des dommages intérêts.

Sur la question de sa compétence, la Cour caractérise l’existence d’un lien significatif et suffisant entre l’activité des sites eBay.fr, eBay.uk, eBay.com (gérés par les sociétés eBay AG et eBay Inc.) et le public en France ainsi qu’un impact économique de ces sites en France.

S’agissant du régime de responsabilité, la Cour écarte la qualification d’hébergeur. Elle retient que les sociétés eBay ont un rôle actif sur les contenus hébergés et que les activités des sociétés eBay doivent être appréciées globalement.

  • Les sociétés eBay ont un rôle actif sur les contenus hébergés

Le 23 mars 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08) a rappelé qu’un prestataire d’hébergement joue un rôle purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données stockées.

Dans la présente affaire, la Cour de Paris reprend mot pour mot la solution européenne. Elle vérifie si eBay avait connaissance des contenus hébergés ou contrôlait ceux-ci.

Les sociétés eBay arguaient du fait qu’elles ne contrôlaient pas a priori les contenus mis en ligne.

Pour la Cour, un prestataire ne saurait être qualifié d’hébergeur selon le contrôle qu’il choisi d’exercer ou de ne pas exercer sur les données qu’il stocke, mais en fonction de  » la nature du service effectivement offert « .

La Cour constate « l’intervention active de [la société] dans l’assistance, le suivi et la promotion des ventes ».

Selon la Cour, le rôle des sociétés eBay ne se limite pas à « classer et à faciliter la lisibilité des offres et des demandes mais consiste à les promouvoir activement et à les orienter pour optimiser les chances qu’elles aboutissent à des transactions effectives sur le montant desquelles elles percevront une commission ».

EBay propose aux utilisateurs une série de services (« gestionnaire des ventes », « assistants vendeurs », « boutique en ligne ») destinés à réaliser la vente de tout objet.

La Cour estime qu’il s’agit d’une forme particulière de courtage, caractérisée par l’intervention active d’un tiers tout au long des opérations préparatoires à la vente. Les sociétés eBay ne pouvaient donc prétendre jouer le rôle simplement technique d’un hébergeur.

  • L’appréciation globale des activités des sociétés eBay

Une jurisprudence antérieure proposait d’appliquer distributivement les régimes de responsabilité selon l’activité en cause (hébergement ou courtage). (TGI Paris, 3ème chambre, 3ème section, 13 mai 2009).

Au contraire, la Cour retient une appréciation globale de l’activité des sociétés eBay. Plutôt que de distinguer entre les services proposés, la Cour prend en considération « l’ensemble de l’opération que [les sociétés eBay] proposent aux utilisateurs en hébergeant leurs annonces sur leur site » afin de qualifier juridiquement leur prestation.

En l’espèce, la Cour juge que « l’activité des [sociétés eBay] ne saurait être artificiellement démembrée en une activité d’hébergement et en une activité de courtage« . Elle considère que « l’hébergement des annonces placées par les utilisateurs est le moyen technique préalable et nécessaire à l’activité de vente à distance par voie électronique; qu’il n’a pas d’autre objet« .

L’hébergement n’ayant pas d’autre finalité que le courtage, il ne pouvait donc, selon la Cour, constituer une activité distincte, régie par des règles de responsabilité propres.

La Cour reprend ainsi l’analyse économique, téléologique, déjà développée en première instance. Il conviendra de suivre avec attention si cette appréciation « globale » est étendue à d’autres services et confirmée.

Etienne MARGOT-DUCLOT

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