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Un arrêt de la chambre sociale de Cour de Cassation en date du 8 février 2012, venant à la suite de nombreux autres, rappelle les principes applicables aux délégations de pouvoirs dans les sociétés par actions simplifiées (SAS), principes qu’elle avait pour la première fois énoncés par deux arrêts du 19 novembre 2010 rendus dans la forme plus solennelle d’une réunion de trois chambres (sociale, commerciale et une des trois chambres civiles)[1].

Les faits soumis à la Cour de cassation étaient les suivants : la société par actions simplifiée Reynolds avait fermé son site situé à Valence et, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la Directrice des ressources humaines avait signé les lettres de licenciement de plus d’une centaine de salariés. Le Président de Reynolds n’avait pas consenti à cette Directrice de délégation de pouvoir afin de mettre en œuvre ces licenciements.

Les salariés contestaient devant la Cour d’Appel de Grenoble la validité des licenciements, la Directrice des ressources humaines n’ayant pas, selon eux, la qualité juridique pour signer au nom de la société les lettres de licenciement.

La Cour d’Appel de Grenoble avait donné raison aux salariés et déclaré nuls l’ensemble des licenciements au motif que la Directrice des ressources humaines n’avait pas reçu de délégation de pouvoirs par le Président de Reynolds, alors que, selon cette Cour d’Appel la délégation de pouvoirs par le Président d’une SAS serait soumise à des règles plus strictes que dans d’autres sociétés et ne pouvait intervenir qu’au profit d’un Directeur Général ou d’un Directeur Délégué.

La Cour de cassation écarte ces arguments, reprenant sa formulation habituelle :

« Attendu que si la société par actions simplifiée est représentée à l’égard des tiers par son président et, si les statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n’exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés tel que celui de licencier les salariés de l’entreprise sans qu’il soit nécessaire de mentionner cette délégation au registre du commerce et des sociétés ; que par ailleurs, aucune disposition n’exige que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit ; qu’elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure disciplinaire ».

De cet arrêt de la Cour de Cassation et de ceux qui l’ont précédé, on retient les enseignements suivants :

– Les Directeurs Généraux et Directeurs Généraux Délégués disposent du même pouvoir de représentation légale de la SAS vis-à-vis des tiers que le Président, à condition que leur nom soient inscrits sur

l’extrait K Bis et que les statuts leur donnent le pouvoir de représenter la société au même titre que le Président[2].

La Cour de Cassation a néanmoins fait une exception à ce principe par un arrêt rendu le 21 juin 2011[3] dans le cas du redressement puis de la liquidation judiciaire d’une société.

Par cet arrêt, la Cour de Cassation a en effet jugé valable la déclaration de créance faite par un Directeur Général Délégué de SAS qui en avait été expressément chargé par le Conseil d’administration de cette SAS, alors même d’une part que les statuts n’accordaient à ce Directeur Général Délégué aucun de pouvoir de représentation et d’autre part que le Conseil d’administration (organe non prévu par les dispositions légales applicables aux SAS et n’ayant de ce fait aucun pouvoir de représentation) n’avait selon les statuts que le pouvoir de le nommer et non d’en déterminer les pouvoirs, et, n’avait donc a fortiori pas le droit de déléguer à ce Directeur Général Délégué le pouvoir de procéder à cette déclaration de créance au nom de la SAS.

Cet arrêt peut néanmoins s’expliquer par le rapprochement avec la jurisprudence de la Cour de Cassation dans le domaine spécifique des déclarations de créances appliquée aux sociétés anonymes[4] ; la Cour de Cassation reconnait en effet au Conseil d’administration des sociétés anonymes le pouvoir de nommer un préposé pour déclarer les créances avec ou sans faculté de délégation alors même que le Conseil d’administration des sociétés anonymes n’ont, pas plus que ceux des SAS, de pouvoir de représentation légale.

– Une distinction doit être faite entre le pouvoir général de représentation légale d’une SAS vis-à-vis des tiers, qui appartiennent aux représentant légaux d’une SAS[5] et la délégation spéciale de pouvoirs,

relevant du mandat et non de la loi, donnée par l’un de ces représentants légaux à une autre personne pour des actes déterminés.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de Cassation que cette délégation spéciale de pouvoir n’est pas soumise à un formalisme particulier ; il suffit que le délégant soit un représentant légal de la SAS, à savoir le Président ou s’il en existe un Directeur Général ou un Directeur Général Délégué[6].

En matière de droit du travail, la Cour de Cassation admet même que cette délégation de pouvoir puisse être tacite, c’est-à-dire non écrite, et découler des fonctions du salarié qui procède au licenciement. Si l’exemple le plus abondant est celui de la délégation tacite de pouvoirs d’un dirigeant de SAS à un DRH, la Cour de Cassation a aussi reconnu la validité d’une délégation tacite au profit d’un cadre (DAF, directeur de magasin ou d’agence…) afin de licencier ou même d’embaucher[7] des salariés.

Il est néanmoins prudent de ne pas se contenter du caractère tacite d’une délégation, particulièrement dans les domaines autres que le droit du travail, ne serait-ce que pour en rapporter la preuve ou pour pouvoir en justifier pour la conclusion d’un contrat (par exemple, une banque demandera généralement à la personne qui signe un contrat de prêt au nom d’une entreprise de justifier d’une délégation de pouvoir écrite du dirigeant de cet entreprise si elle ne l’est pas elle même).

– Effet des limitations de pouvoirs des dirigeants de SAS sur la validité d’une décision prise par ces dirigeants en violation de ces limitations.

Il n’est pas rare que les statuts d’une SAS prévoient que certaines décisions de ses représentants légaux (Président et s’il en existe Directeur Général ou Directeur Général Délégué) doivent être préalablement autorisées par un autre organe de la SAS.

En ce qui concerne le Président, l’article L 227-6 du Code de commerce prévoit expressément que les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du Président sont inopposables aux tiers. En revanche, il n’existe aucune disposition similaire pour le Directeur Général ou un Directeur Général Délégué d’une SAS mais on peut estimer que, sauf exception, les limitations apportées à leurs pouvoirs ne seront, pas plus que celles du Président, opposables aux tiers.

Un exemple d’exception a été donné par un arrêt de la Cour de Cassation du 15 février 2012[8] qui a permis à un salarié licencié d’invoquer à son bénéfice les limitations de pouvoirs du Directeur Général.

En l’espèce, un salarié de la société « Valeurs précieuses et or » avait été licencié par le Directeur Général de cette société. Les statuts de celle-ci, après avoir rappelé que le Directeur Général était « investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans la limite de l’objet social » ne pouvait néanmoins « dans l’ordre interne (inopposable aux tiers) » prendre certaines décisions – dont la conclusion, la modification, la résiliation de contrats de travail – qu’après avoir obtenu l’autorisation préalable des associés.

La Cour de Cassation du 15 février 2012 précité énonce clairement que « la Cour d’Appel, qui a relevé qu’une clause des statuts de la société soumettait les licenciements à l’autorisation préalable des associés lorsqu’ils sont prononcés par le directeur général et que celui-ci ne justifiait d’aucune autorisation, en a exactement déduit (…), que cette clause instituait une procédure de fond dont pouvait se prévaloir le salarié et que son inobservation rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Cette solution qui avait déjà été appliquée par des Cours d’Appel est donc consacrée par la Cour de Cassation en matière de droit du travail.

On ne saurait pourtant en déduire qu’en toute matière, autre que sociale, les limitations de pouvoirs des dirigeants de SAS puissent être systématiquement invoquées contre une SAS. Hormis les hypothèses limitées où la loi permet expressément aux tiers de se prévaloir d’un défaut de pouvoir de représentation d’une personne morale[9], la Cour de Cassation n’a pas pris de position de principe concernant les dirigeants de SAS.

 

Laurent THOMAS


[1] Pour un commentaire de cet arrêt, se reporter à l’article « Représentation de la SAS : dernière évolution ? » parue dans la lettre nomosfusac.fr  n° 6 du 1er trimestre 2011.

[2] Cour de Cassation, 14 décembre 2010, SAS Design Sportwear c/ sociétés Luna, Floria et autres. En d’autres termes il ne suffit pas que le pouvoir de représenter la SAS leur soit accordé par la décision les nommant, encore faut-il que ce pouvoir figure expressément dans les statuts.

[3] Cour de Cassation, 21 juin 2011, n° 10-20878, consorts X et M. Z c/ SOFIAG SAS.

[4] Cour de Cassation,  28 septembre 2004, n° 03-12023, sociétés TBPA et Marchat Matériaux c/ Lyonnaise de Banque : « le conseil d’administration a le pouvoir de nommer un préposé de la société pour déclarer les créances avec ou sans faculté de délégation ».

[5] Président, voir s’il en existe, Directeur Général et Directeur Général Délégué.

[6] A condition pour le Délégué Général et le Directeur Général Délégué que ceux-ci, comme cela a été rappelé, soient inscrits sur l’extrait K Bis et que les statuts leur donnent le pouvoir de représenter la société au même titre que le Président.

[7] Cour de Cassation, chambre sociale, 15 décembre 2010, n° 09-42642, M. X c/ Lear Corporation Seating SAS (salarié embauché en CDD et demandant  la requalification de son CDD en CDI, le motif du recours au CDD ne lui semblant injustifié).

[8] Cour de Cassation, chambre sociale, 15 février 2012, n° 10-27685,  Valeurs précieuses et or SAS c/ M. X.

[9] Par exemple, les tiers peuvent se prévaloir de tous les faits et actes de sociétés qui doivent faire l’objet d’une publicité ou d’un dépôt au registre du commerce et des sociétés, quand bien même ces formalités de publicité ou de dépôt n’auraient pas été effectuées (Article L123-9 du Code de Commerce).

 

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