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La Cour de cassation, dans un arrêt très récent (soc. 5 mars 2025, n°23-50.022) vient de rappeler une règle fondamentale : un salarié ne peut être licencié pour faute grave s’il était atteint, au moment des faits reprochés, d’un trouble psychique ayant aboli son discernement.

Cette décision, loin d’être anecdotique, interpelle sur une problématique délicate pour les entreprises, mêlant pouvoir disciplinaire et prise en compte de la santé mentale des salariés.

En effet, pour rappel, la faute grave doit répondre aux 2 critères suivants :

  • Les agissements du salarié doivent être contraire à ses obligations à l’égard de l’employeur
  • L’ampleur de la faute doit rendre le maintien du salarié dans l’entreprise impossible.

Or, qu’en est-il lorsque les agissements du salarié ne correspondent pas à son état de santé habituel ? La Haute cour répond à cette question dans l’arrêt du 5 mars dernier.

Les faits à l’origine du litige :

Au cours de son contrat avec la société (H.), M. (S.) avait fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour dépression.

Le 28 février 2019, le salarié avait adressé une série de SMS à une collègue à la fois insultants, dégradants, menaçants et assimilables à du harcèlement sexuel.

Par lettre du 1er mars 2019 contenant mise à pied à titre conservatoire, celui-ci était convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 15 mars suivant, auquel il ne se présentait pas. La société décidait de reporter l’entretien au 25 mars 2019 ; auquel le salarié ne se rendait pas non plus.

Le 17 mars 2019, il était hospitalisé sous contrainte à la suite d’une décompensation psychotique. Il était licencié pour faute grave par courrier du 29 mars 2019.

Le salarié saisissait la juridiction prud’homale, qui le déboutait. Il interjetait appel, en sollicitant, à titre principal, la nullité de son licenciement pour discrimination à raison de son état de santé ; et à titre subsidiaire, de voir son licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel de Toulouse rejetait la nullité du licenciement : d’une part, le salarié ne discutait pas de la matérialité des faits, même s’il les imputait à une décompensation psychiatrique ; mais d’autre part, cet état de santé psychique était ignoré de l’employeur lors du licenciement puisque celui-ci avait découvert le motif des arrêts maladie à l’occasion de la procédure prud’homale. Le lien direct entre le licenciement et l’état de santé du salarié n’était dès lors pas établi.

Restait l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement : pour la cour d’appel, les éléments médicaux produits montraient que le salarié présentait des troubles de comportement, notamment sur son lieu de travail. La cour constatait aussi qu’à la même période, M. [S] ne s’était pas rendu à une formation et avait refusé de se rendre à la visite médicale. Enfin, la Cour relevait que M. [S] était placé en arrêt maladie lors du prononcé du licenciement et avait formé une demande d’invalidité.

Dès lors, la cour d’appel décidait que les messages SMS dont le salarié avait reconnu l’envoi à sa collègue étaient intrinsèquement incohérents et révélaient l’état mental très dégradé dans lequel il se trouvait.

La cour jugeait, au regard de ces éléments, que les griefs reprochés à M. [S] n’étaient « pas imputables à faute de celui-ci, de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ». CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 15 sept. 2023, n° 22/00338.

La Société se pourvoyait en cassation.

La Haute confirmait l’arrêt de la cour d’appel en estimant que cette dernière avait formé sa conviction au vu des éléments fournis par les parties […] et qu’elle avait ainsi décidé, « dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code du travail, que les faits reprochés au salarié ne lui étaient pas imputables et qu’ainsi le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. »

Par cette décision, la cour de cassation confirme qu’une faute suppose le discernement du salarié concerné. Si un trouble mental abolit cette conscience, alors l’élément fautif disparaît.

En d’autres termes, la faute grave ne peut être caractérisée que si le salarié avait conscience du caractère répréhensible de son comportement. Ainsi, la réponse à un trouble mental altérant la perception de la réalité ne peut pas être disciplinaire.

Cette décision renvoie également intrinsèquement aux dispositions de droit commun du droit civil ; et notamment l’article 414-1 du code civil relatif à la capacité de discernement au soutien de la validité d’un acte.

Quelles conséquences l’employeur peut-il tirer de cet arrêt ? Bien entendu, faire preuve d’une vigilance accrue lorsqu’un comportement fautif inhabituel ou disproportionné apparaît chez un salarié ; mais surtout solliciter la médecine du travail afin que toutes les options découlant d’un suivi médical accru puissent être envisagées.

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