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Cass. Soc. 2 juin 2017, 16-13134

La Cour de cassation a défini au fil des ans la notion d’insuffisance professionnelle. D’une part en référence à ce qui la caractérise, à savoir une incapacité à remplir correctement les taches relevant du poste occupé. D’autre part en opposition à ce que l’insuffisance professionnelle n’est pas, à savoir le résultat d’un comportement fautif. Un grand principe en résulte : ce qui relève du disciplinaire ne peut caractériser une insuffisance professionnelle. Le principe perdure mais la frontière entre l’erreur et la faute devient moins lisible.

Par définition l’insuffisance professionnelle est une notion qui se déploie dans un contexte non disciplinaire : le salarié en insuffisance est celui qui ne parvient pas à remplir ses obligations contractuelles de façon satisfaisante. Simplement parce qu’il n’en a pas les capacités. Et ce en dépit de ses propres efforts et en dépit des efforts de son employeur qui doit l’aider ainsi qu’il en a l’obligation. Rappelons en effet que pèse sur ce dernier un devoir d’adaptation et de formation du salarié tout au long de sa vie professionnelle. Face à une situation d’échec, l’employeur ne peut brutalement rompre le contrat sans avoir préalablement donné au salarié les moyens nécessaires pour réussir et/ou s’améliorer. Concrètement, le salarié doit bénéficier d’un suivi dédié interne ou externe (plan d’accompagnement, formations etc.) et ce pendant une période suffisante pour permettre d’être efficace. A défaut, un licenciement pour insuffisance sera jugé illégitime.

L’insuffisance est-elle compatible avec la notion d’erreur ? La Haute Cour l’a admis depuis longtemps, de façon assez logique. Il est assez logique qu’une insuffisance professionnelle puisse aboutir à des erreurs. C’est d’ailleurs souvent la survenance de telles erreurs qui vont alerter l’employeur.

Erreur ou faute ? Une frontière délicate à la base. Selon que l’erreur sera jugée fautive ou non, l’insuffisance professionnelle sera admise ou censurée. Car en ce domaine le juge est lié par la qualification juridique donné par l’employeur. Les conséquences sont donc assez lourdes : si l’employeur a retenu à tort une insuffisance professionnelle là où le Juge retient un contexte disciplinaire, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. En clair, le Juge ne pourra retenir la faute même si elle apparait caractérisée et propre à justifier une rupture.

Comment faire la distinction entre l’erreur fautive et l’erreur non fautive ? En matière d’insuffisance professionnelle, les erreurs ne sont que la conséquence de l’incapacité professionnelle. Pas sa cause ni son origine, plutôt un symptôme. En matière disciplinaire c’est l’inverse : les erreurs sont à l’origine du licenciement.

Le caractère volontaire ou non de l’erreur peut constituer un autre indice. Les erreurs volontairement commises sont rarement le résultat d’une simple insuffisance professionnelle.

In fine, c’est une analyse au cas par cas qu’il faut effectuer pour ne pas se tromper sur la qualification juridique. Et l’exercice est souvent bien délicat.

Erreur ou faute ? Une frontière de plus en plus perméable.

L’arrêt rendu le 2 juin dernier par la Cour de Cassation ne va pas simplifier l’analyse. Dans cette espèce, une salariée avait été licenciée pour insuffisance professionnelle. La Cour d’appel avait validé le licenciement tout en constatant que la salariée avait insulté, dénigré et malmené des subordonnés. Estimant qu’il s’agissait de fautes, sans rapport avec de l’insuffisance, la salariée (non sans se prévaloir au passage de sa propre turpitude) demandait la censure de l’arrêt. La Cour rejette le pourvoi. Et entérine ce licenciement pour insuffisance, intervenant pourtant dans un contexte largement fautif : envoyer des emails à des collaboratrices en les traitant de « pauvres connes » dépasse à l’évidence la simple erreur. Mais la Cour de cassation valide la notion « d’insuffisance managériale » retenue par la Cour d’appel. La Haute Cour a-t-elle jugée plus en fait qu’en droit ? C’est bien possible. L’arrêt n’est d’ailleurs pas publié. Mais il existe.

Et il contribue à rendre encore moins lisible la frontière entre l’insuffisance et le disciplinaire. Rien n’était simple et tout se complique.

Virginie DELESTRE

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