TJ Paris, 3 octobre 2025, Société d’Edition Canal Plus c/ SNCF & Moment (RG 23/04212)
Par une décision du 3 octobre 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a examiné la qualification audiovisuelle d’un service « embarqué », en l’espèce le Portail TGV Inoui proposé par la SNCF à bord de ses trains. Ce service, accessible sur les terminaux des voyageurs et offrant un catalogue de films récents, soulevait la question de son éventuelle soumission à la chronologie des médias.
Dans cette affaire, Canal+ avait assigné la SNCF et son distributeur de films devant le Tribunal Judiciaire de Paris, invoquant une violation de l’exclusivité dont elle bénéficie en vertu de la chronologie des médias, et soutenant que le Portail TGV Inoui devait être qualifié de service de médias audiovisuels à la demande au sens de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 « Léotard » et de la directive 2010/13 modifiée par la directive 2018/1808 « SMA ». Selon la société demanderesse, en tant que SMAD gratuit le service était soumis à la fenêtre de diffusion fixée à 36 mois après la sortie salle du film.
Pour ce faire, Canal+ argumentait qu’il s’agissait d’un service économique indépendant du service ferroviaire, ayant pour objet principal la fourniture de programmes audiovisuels, fourni au grand public à titre gratuit (indépendamment de l’absence de publicité).
Elle réclamait à ce titre notamment des dommages et intérêts en réparation du préjudice de concurrence déloyale.
Pour leur part, la SNCF et son distributeur de films contestaient la qualification du Portail TGV Inoui en tant que service de médias audiovisuels à la demande. Ils soutenaient qu’il ne s’agissait que d’un usage purement accessoire au transport, de sorte que la fourniture de contenus ne constituait ni un véritable service autonome, ni l’objet principal de l’offre, et qu’elle n’était pas destinée au grand public. En conséquence, ils estimaient que la chronologie des médias ne trouverait pas à s’appliquer.
La motivation du Tribunal judiciaire de Paris repose sur une analyse de la notion de service de médias audiovisuels à la demande, aboutissant à la conclusion que le Portail TGV Inoui ne constitue qu’un « complément indissociable » du service principal de transport ferroviaire.
Le Tribunal commence par rappeler que la définition du service de médias audiovisuel à la demande, au sens de l’article 2 de la loi « Léotard » et de la directive « SMA », repose sur l’existence d’un service, ou d’une partie dissociable d’un service plus large, dont l’objet principal consiste en la fourniture de programmes au grand public.
Cette définition, qui suppose une autonomie fonctionnelle de l’offre audiovisuelle par rapport à l’activité principale, trouve son origine dans la directive 2010/13 “SMA” telle qu’interprétée par la Cour de justice, notamment dans l’arrêt New Media Online (CJUE, 21 octobre 2015, C-347/14). Dans cet arrêt, la CJUE a admis que la mise à disposition de vidéos au sein d’un site de presse pouvait constituer un service distinct si elle présentait « un contenu et une fonction autonomes » par rapport à l’activité journalistique du site et ne se réduisait pas à un « complément indissociable » de celle-ci.
C’est précisément cette autonomie que le Tribunal va rechercher, et ne pas trouver, dans le cas de l’offre de programmes proposée par la SNCF.
Pour le Tribunal, l’offre audiovisuelle proposée à bord des TGV ne possède aucune autonomie réelle par rapport au service de transport dans le cadre duquel elle est fournie. Au contraire, les juges considèrent que ce cadre affecte radicalement l’offre de programmes tant dans sa forme que dans sa fonction.
En effet, l’accès au Portail TGV Inoui n’est possible qu’à bord des trains : pour visionner un film, l’usager doit se trouver physiquement à bord d’un TGV, doit nécessairement acheter un billet de transport et adapter son visionnage aux horaires du trajet. Ainsi, la durée du voyage, le prix du billet, sans commune mesure avec celui d’un service audiovisuel, et la nécessité de se rendre dans une autre ville pour visionner un film, constituent autant de contraintes qui empêchent de considérer cette offre comme dissociable du service de transport de la SNCF.
Sur ce point, le Tribunal développe une approche résolument pragmatique, centrée sur l’expérience d’usage. Contrairement à un service de vidéo à la demande classique ou à une offre composite du type « abonnement global intégrant un service vidéo », aucun voyageur n’achète un billet de TGV pour voir un film, ni ne choisit ce mode de déplacement pour bénéficier d’une expérience audiovisuelle en tant que telle.
Pour les juges, cette offre audiovisuelle est donc conçue comme un enrichissement de l’expérience de transport et ne peut être regardée comme une « partie dissociable du service de transport, lequel n’a manifestement pas pour finalité de proposer des contenus audiovisuels ».
En affirmant que le Portail TGI Inoui constitue un « complément indissociable » du service de transport de voyageurs de la SNCF, le Tribunal ferme la voie à la qualification de service de médias audiovisuels à la demande, sans avoir besoin d’examiner plus avant les autres critères (offre au grand public, caractère commercial, nature de l’accès).
Par conséquent, la SNCF est libre de proposer aux voyageurs des films récents sur son portail sans respecter la chronologie des médias.
Le Tribunal rappelle que la qualification de service de médias audiovisuels à la demande n’est pas liée à la seule présence d’un catalogue de programmes, d’un contrôle éditorial et d’un visionnage “à la demande”, mais qu’elle suppose une véritable indépendance du service audiovisuel à l’égard de son contexte d’exploitation.
Une telle approche peut se comprendre si la mise à disposition n’affecte pas la valeur des autorisations d’exploitation consenties par le producteur. Or, dans le présent cas, il s’agit de films de cinéma dont le financement est soumis à des fenêtres d’exploitation successives et la mise à disposition gratuite aux voyageurs peut les dissuader de souscrire aux accès payants.
Il convient de suivre cette question.



