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Dans un contexte marqué par une forte augmentation du coût des matières premières, de nombreux fournisseurs ont eu recours à la pratique de « Shrinkflation[1] » ou « réduflation » consistant à maintenir ou augmenter le prix d’un produit, tout en réduisant sa quantité. Certains distributeurs n’ont pas hésité à dénoncer cette pratique, notamment au moyen d’affichettes disposées dans leurs rayons.

Dans la première affaire opposant en référé PepsiCo à Carrefour[2], PepsiCo reprochait à Carrefour d’avoir soudainement lancé une campagne de communication dénonçant les augmentations brutales des prix des produits.

Cette campagne de communication avait pris la forme d’affichettes, placées dans les rayons à proximité des produits PepsiCo, énonçant dans un premier temps « Ce produit a vu son contenant baisser et le tarif pratiqué par notre fournisseur augmenter. Nous nous engageons à renégocier ce tarif » puis, à compter du début de l’année 2024, en raison de la cessation de la relation commerciale, « Nous ne vendons plus cette marque pour cause de hausse de prix inacceptable ».

Le tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, a constaté que :

  • le discours de Carrefour n’était pas quantifié et revêtait un caractère vague et subjectif dans la mesure où Carrefour ne démontrait pas l’ordre de grandeur de l’augmentation réelle ou supposée du prix au kilo ou au litre, ni ne démontrait qu’il y avait une dégradation du rapport quantité-prix, en fournissant des informations invérifiables ;
  • Carrefour commercialisait des produits concurrents de ceux de PepsiCo sous MDD et que cette communication aurait pu lui faire bénéficier d’un report de clientèle à son profit ;
  • Carrefour ne justifiait aucunement pourquoi cette campagne informative survenait à compter de septembre 2023 alors que les produits étaient commercialisés depuis le début de l’année 2023 ;
  • les ventes des produits PepsiCo s’étaient effondrées au dernier trimestre 2023.

En conséquence, la campagne de communication de Carrefour a été considérée comme causant un trouble manifestement illicite au regard des pratiques commerciales déloyales et trompeuses.

Le juge des référés a ordonné à Carrefour de procéder au retrait de l’ensemble des affichettes concernant les produits commercialisés par PepsiCo.

Dans la seconde affaire, opposant en référé Unilever à Intermarché[3], Unilever reprochait à Intermarché une campagne de communication dénigrante et déloyale à son égard.

Cette campagne de communication diffusée dans certains magasins sous enseigne Intermarché prenait également la forme d’affichettes positionnées à proximité des produits des marques Unilever (notamment Knorr, Magnum et Carte d’Or), en réaction à la pratique de réduflation du fournisseur.

Les messages des affichettes attiraient l’attention des consommateurs sur le fait que certaines références n’étaient plus disponibles en rayons en raison d’une hausse de prix injustifiée ou que les nouveaux formats subissaient une augmentation de prix (jusqu’à 39%) en même temps qu’une réduction de la quantité, sur un ton ironique « Avant, Magnum, ça voulait dire grand » ou en reprenant de manière sarcastique les slogans des marques « Knorr j’adore j’adorais ».

S’agissant du dénigrement, quand bien même les critiques pouvaient paraître sévères, les affichettes n’étaient pas outrancières, reposaient sur une base factuelle et s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général sur les pratiques de réduflation et de hausses tarifaires injustifiées de certains fournisseurs.

En conséquence, aucun trouble manifestement illicite sur le fondement du dénigrement n’a été reconnu.

S’agissant de la déloyauté, Unilever reprochait la confusion entretenue par Intermarché sur la nature de la hausse des prix pratiquée et des produits comparés.

Le juge des référés a toutefois relevé l’absence de contestation quant à l’augmentation des tarifs et la réduction des quantités de produits et a indiqué qu’aucune confusion ne saurait être retenue au titre de l’augmentation de tarifs appliqués sur des produits dont le contenu est identique mais dont la contenance a été réduite.

En conséquence, aucun trouble manifestement illicite n’a été reconnu en l’absence de caractère déloyal et trompeur de la campagne de communication d’Intermarché.

La singularité de ces deux affaires jugées en référé, pourtant très similaires, tient à la différence des solutions retenues.

Pour retenir le trouble manifestement illicite à l’encontre de Carrefour, le juge semble avoir fondé son analyse au regard des pratiques commerciales déloyales et trompeuses du Code de la consommation qui reposent sur des indications fausses ou de nature à induire en erreur, notamment sur le prix ou son mode de calcul, caractérisant ainsi un trouble manifestement illicite.

A l’inverse, il semble qu’Unilever a uniquement reproché, sur ce même fondement, l’existence d’une confusion entretenue par Intermarché sur la nature de la hausse des prix pratiqués et des produits comparés.

Il est permis de s’interroger sur le fait de savoir si un trouble manifestement illicite n’aurait pas pu être retenu par le juge des référés dans le litige entre Unilever et Intermarché au regard des pratiques commerciales trompeuses portant sur des indications fausses ou de nature à induire en erreur, notamment sur le prix ou son mode de calcul dans la mesure où :

  • le terme « prix » utilisé par Intermarché, ne permet pas nécessairement de connaître la part de l’augmentation du prix imputable directement au fournisseur ;
  • les éléments chiffrés (jusqu’à 39% d’augmentation du prix) avancés par Intermarché, ne sont en réalité véridiques qu’à l’égard de certaines références.

[1] Néologisme dérivant de l’anglais et provenant de la contraction du verbe « to shrink » signifiant rétrécir et du mot « inflation »

[2] T. com. Paris, 24 janvier 2024, n° 2023069037

[3] T. com. Paris, 8 février 2024, n° 2024004179

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