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Par deux arrêts du 7 décembre 2022, la Cour de cassation a été amenée à statuer en matière de rupture brutale des relations commerciales.

Le premier arrêt, qui a fait l’objet d’une publication au bulletin, a été rendu dans une affaire opposant la société Samsung à l’un de ses distributeurs indépendants de produits électroniques qui s’estimait victime d’une rupture brutale partielle durant la période de préavis de 15 mois que lui avait accordé Samsung, en raison des modifications apportées par cette dernière à la relation commerciale au cours du préavis.

La Cour de cassation rappelle cependant que la rupture – que celle-ci intervienne durant le courant d’affaires ou au cours du préavis – s’entend en tout état de cause d’une modification « substantielle » des conditions commerciales, et qu’en présence d’une relation annuellement renégociée :

  • « il est normal que [les conditions commerciales] puissent évoluer, dans la mesure où un accord annuel n’est, par principe, pas immuable, l’existence de négociations annuelles permettant une évolution des conditions commerciales » ; et
  • « la société [en cause] ne peut prétendre à l’application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle ».

En l’occurrence, une seule modification était identifiée et n’était pas substantielle « au point de porter atteinte à l’effectivité [du préavis] » : il s’agissait de l’obligation nouvelle de passer commande auprès de grossistes, alors qu’auparavant le distributeur achetait les produits directement à Samsung. La cour d’appel n’avait vu dans ce changement de mode d’approvisionnement aucune rupture en soulignant que les conditions tarifaires demeuraient stables.

En ce qui concerne les autres modifications alléguées (dont notamment : la réduction entre 3 % et 0 % d’une remise de gré à gré de 21% et l’abandon d’une 3% pour ventes internet), le demandeur n’a pas prouvé à leur égard qu’elles constituaient la pratique régulière suivie entre les parties par le passé.

La solution de principe est innovante puisque la Cour ne se contente pas de rappeler que le partenaire « n’a pas un droit à une relation inchangée et ne peut refuser toute adaptation », mais précise qu’à l’égard des négociations annuelles, les modifications apportées à la relation durant le préavis doivent porter atteinte à « l’effectivité » de ce préavis.

Cette précision pourrait avoir pour effet de restreindre l’application concrète de l’article L. 442-1 II. du code de commerce dans le cadre de relations qui sont renégociées annuellement.

Le second arrêt opposait la société Nestlé à un prestataire logistique et portait principalement sur le point de savoir si le préjudice alloué à la victime de la rupture devait comprendre ou non les charges fixes de personnel, et ce, alors même que ces charges n’ont pas été effectivement supportées du fait de la rupture (ayant cessé son activité, le personnel avait été repris par un tiers).

En l’occurrence, la cour d’appel avait dans un premier temps refusé que les charges fixes nécessaires au fonctionnement de l’entreprise puissent être déduits du préjudice ; les frais de personnel même non supportés devaient donc être compris dans l’assiette du préjudice.

La haute juridiction a cependant censuré cette solution en rappelant que « seule [est] indemnisable la perte de marge, qui impliquait de déduire du chiffre d’affaires les charges d’exploitation économisées du fait de la rupture, et notamment les frais de personnel et de loyers ».

L’arrêt de la Cour de cassation paraît ainsi adopter une position différente par rapport à deux arrêts précédents de 2019 et 2022 de ses chambres commerciale et civile : elle considère en effet que la cour d’appel a privé de base légale sa décision en ne déduisant pas de la marge sur coûts variables les charges de personnel, sans avoir au préalable recherché si le prestataire logistique les avait effectivement supporté à compter de la rupture.

Or, pour rappel, l’indemnisation de la rupture brutale résulte d’un calcul qui permet d’octroyer à la victime le gain qu’elle aurait réalisé si le préavis avait été correctement donné. Sans remettre en cause ce postulat, cette décision en sape la logique.

D’un point de vue théorique, cette solution paraît ainsi en contradiction avec le principe retenu jusqu’à présent : si d’un côté le préjudice doit être calculé en faisant comme si l’activité se poursuivait comme par le passé, de l’autre côté toutefois, il faudrait désormais soustraire les charges fixes de personnel dès lors que celles-ci n’ont pas été effectivement supportées du fait de la rupture. Reste à voir si cette solution sera confirmée par la suite.

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