CE 8e-3e ch, 2 juillet 2025, n° 497011
Dans cette affaire, les faits étaient les suivants. Le groupement de distributeurs Intermarché (ITM) a cédé en 2002 les titres d’une société qui exploitait un magasin sous son enseigne à deux repreneurs, en souhaitant à cette occasion mettre en place les protections juridiques nécessaires au maintien du magasin sous l’enseigne Intermarché.
Les repreneurs ont acquis les titres de la société exploitante du supermarché via une société mère (M) créée à cette fin, dont le capital a été souscrit à hauteur de 66 % par eux et à hauteur d’une minorité de blocage de 34 % par une holding animatrice du groupement ITM. Cette même holding s’est engagée à cette occasion, d’une part, à octroyer à la société M une avance en compte courant remboursable à l’expiration d’un délai de 10 ans et, d’autre part, à céder aux repreneurs sa participation dans la société M à la valeur nominale/d’apport dès le remboursement intégral de son compte courant d’associé, les repreneurs s’interdisant avant cette date toute distribution de dividendes issus de M.
Parallèlement, les repreneurs ont été agréés comme nouvel « adhérent » au groupement ITM et ont conclu à cette fin un « contrat d’adhésion » et un « contrat d’enseigne » avec la holding animatrice du groupement.
À l’issue de la cession par la holding animatrice de sa participation de 34 % aux repreneurs en 2011, l’administration a relevé que la valeur vénale unitaire des titres (calculée à partir de la valeur mathématique) était très supérieure au prix de cession qui se limitait au prix de souscription des titres. Elle en a déduit que les repreneurs avaient, dans cette mesure, bénéficié de revenus distribués, qu’elle a imposés sur le fondement de l’article 109, 1-1° du CGI.
La cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le redressement en jugeant que la cession à un prix égal à leur valeur nominale était constitutive d’un acte anormal de gestion de la part de la holding animatrice du groupement.
Le Conseil d’Etat casse cette décision et conclut au contraire à l’absence de revenu distribué en l’absence d’acte anormal de gestion, selon une dialectique de la preuve très convaincante que de précédents arrêts avaient commencer à tracer.
Par sa décision Sté Croë Suisse CE plén. 21-12-2018 n° 402006), le Conseil d’Etat avait jugé que, en démontrant l’existence d’un écart significatif (souvent 20%) entre la valeur vénale d’un actif immobilisé et son prix de cession, l’administration établit le caractère anormal de la transaction de façon suffisante. Mais le contribuable peut alors justifier que l’appauvrissement qui a résulté de cette cession a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.
Lorsque comme en l’espèce la cession est intervenue en exécution d’une promesse antérieure, le Conseil d’Etat a par ailleurs jugé que la contrepartie tirée par une société de son appauvrissement doit être appréciée à la date à laquelle la promesse de cession des titres a été consentie et donc à l’aune de ce que la société cédante pouvait attendre de cette promesse à cette date et non à la date à laquelle cette cession est intervenue (CE 11-3-2022 n° 453016).
En l’espèce, le Conseil d’État constate que l’engagement de cession de 2002 s’inscrivait dans un ensemble contractuel qui permettait à la société de s’assurer, au moins jusqu’au remboursement de son compte courant d’associé, tant du maintien du point de vente sous l’enseigne du groupe que de l’implication des contribuables dans le développement de ce point de vente, les repreneurs acceptant la présence et une minorité de blocage d’ITM au capital de leur société durant 10 ans. L’administration n’a pour sa part pas apporté en réponse d’éléments remettant en cause l’existence et le caractère suffisant de ces contreparties.
Dans cette affaire où les protagonistes étaient des acteurs économiques non liés entre eux, la rationalité économique des transactions et la reconnaissance de l’intérêt de chacun aux arrangements contractuels l’ont finalement logiquement emporté.
Une vigilance particulière sera requise pour les transactions intra-groupe à propos desquelles on rappelle que la notion d’intérêt de groupe n’est pas reconnue au plan fiscal ou encore pour les transactions entre les sociétés et leurs dirigeants ou actionnaires concernant lesquelles peut souvent se poser la question de la qualification des contreparties ou avantages.




