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CE, 26 septembre 2025, n° 494985, Sidel Blowing et Services

Par une décision rendue le 26 septembre 2025, le Conseil d’État est venu rappeler les conditions strictes permettant de qualifier une indemnité de restructuration intragroupe d’élément d’actif incorporel à immobiliser. Dans cette affaire, la Haute juridiction a annulé deux arrêts de la cour administrative d’appel de Paris qui avaient validé la position de l’administration consistant à considérer l’indemnité versée à l’occasion d’un transfert de fonctions comme le coût d’acquisition d’une immobilisation incorporelle. Le Conseil d’État souligne que le seul constat d’une perte de source de profits pour le bénéficiaire de l’indemnité ne suffit pas, du point de vue du payeur, à caractériser l’entrée dans le patrimoine d’un élément identifiable et générateur d’avantages économiques futurs.

Les faits étaient assez classiques dans le contexte des restructurations intragroupe. Dans le cadre d’une réorganisation interne, la société française Sidel Blowing et Services a conclu en 2014 un accord avec sa société sœur italienne Sidel SpA. Celui-ci prévoyait notamment que la société française reprendrait l’activité d’approvisionnement en pièces détachées exercée jusque-là par la société italienne, activité dont elle était le seul client, et qu’elle assumerait désormais, hors d’Italie, la commercialisation de l’ensemble des produits du groupe, y compris les machines précédemment vendues par la société italienne. En contrepartie, la société française a versé une indemnité de 8 millions d’euros, calculée selon la méthode DCF, destinée à compenser le manque à gagner de sa cocontractante après restructuration.

À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de cette somme des bases de l’impôt sur les sociétés en estimant qu’elle constituait la contrepartie de l’acquisition d’un actif incorporel et devait être immobilisée. Les premiers juges puis la cour administrative d’appel de Paris ont validé cette analyse, considérant que l’activité reprise, bien que ne s’accompagnant d’aucune clientèle nouvelle, était bénéficiaire et portait donc des avantages économiques futurs pour la société française.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en rappelant les critères posés par le Plan comptable général. Pour rappel, un actif est défini comme « un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l’entité, c’est-à-dire un élément générant une ressource que l’entité contrôle du fait d’événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs » (PCG, art. 211-1), l’immobilisation incorporelle étant quant à elle identifiable « si elle est séparable des activités de l’entité, c’est-à-dire susceptible d’être vendue, transférée, louée ou échangée de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif ;

/ – ou si elle résulte d’un droit légal ou contractuel, même si ce droit n’est pas transférable ou séparable de l’entité ou des autres droits et obligations » (PCG, art. 211-5). Or, selon le Conseil d’État, le seul fait que la somme versée compense la perte d’une source de profits pour la société bénéficiaire de l’indemnité ne permet pas, en soi, de caractériser une entrée d’actif dans le patrimoine de la société versante. Il en va de même de la simple amélioration attendue de la profitabilité de cette dernière du fait de la réorganisation. En conséquence, les juges d’appel ne pouvaient qualifier cette indemnité d’immobilisation sans démontrer l’existence, pour le payeur, d’un élément identifiable et distinct présentant une valeur économique autonome.

Cette décision rappelle ainsi utilement que l’administration ne saurait présumer l’existence d’un actif incorporel en se fondant uniquement sur une valorisation économique théorique du gain généré par les fonctions transférées. Le Conseil d’État exige une approche rigoureuse, fondée sur l’analyse des droits effectivement transférés et de leur autonomie patrimoniale.

Pour les groupes internationaux, cette jurisprudence renforce la sécurité juridique des opérations de restructuration, dès lors que les indemnités versées ne correspondent pas à l’acquisition d’un élément spécifique, identifiable et valorisable.

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