Prescription de l’action en contrefaçon malgré la poursuite des faits argués de contrefaçon au jour de l’assignation.

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 mai 2023, n°21/15795

La prescription de l’action est un moyen de défense régulièrement invoqué et les récentes décisions montrent la volonté des juridictions du fond de revenir à une application stricte des règles de droit commun de l’article 2224 du Code civil qui prévoit depuis 2008 que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Traditionnellement, la jurisprudence retenait que la contrefaçon constitue un délit continu, et que dans cette hypothèse, le point de départ de la prescription doit être fixé, non au jour de la découverte par la victime d’un acte, mais à celui de la cessation des actes contrefaisants.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu une application littérale du texte en matière de concurrence déloyale en jugeant que le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire a eu connaissance ou aurait dû connaitre les faits, « peu important que les agissements déloyaux se soient inscrits dans la durée » (Cf. Netcom mai 2020, Cass. Com. 26 février 2020).

Suivant cette analyse, la cour d’appel de Paris a prononcé la prescription totale de l’action, malgré la poursuite de la commercialisation d’une chanson arguée de contrefaçon au jour de l’assignation.

En première instance, le tribunal avait écarté le moyen tiré de la prescription au motif que la contrefaçon constitue un délit successif et que chaque acte fait courir le délai de prescription de cinq ans. Relevant en l’espèce que la chanson litigieuse était toujours disponible sur une plateforme au jour de l’assignation, le tribunal avait jugé les demandeurs recevables à agir.

La cour infirme le jugement et juge que la prescription quinquennale était acquise, au jour de l’assignation, peu important que l’album comportant le titre litigieux ait été encore dans le commerce ou que ce titre ait été encore disponible sur des plateformes de téléchargement à cette date, ces actes de commercialisation et de diffusion n’étant que le prolongement normal de la commercialisation et de la diffusion réalisées antérieurement, dont les demandeurs avaient eu incontestablement connaissance depuis plus de cinq ans. En l’espèce, la première mise en demeure adressée par leur avocat remontait à plus de cinq ans avant l’assignation.

Cette solution est conforme à la position du parlement qui a réduit en 2008 de 30 à 5 ans la durée de prescription, le rapporteur de la commission des lois de l’assemblée justifiant ce délai par le fait  qu’il « représente un juste équilibre entre le risque qu’un délai de prescription trop long ne crée de l’insécurité juridique et le risque qu’un délai trop court ne devienne une source d’injustice pour les titulaires de droits ». Concernant le point de départ de la prescription, il s’agissait de rendre la loi plus lisible, compte tenu des règles hétérogènes liées aux différentes prescriptions et de consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation relative au point de départ de la prescription extinctive en vertu de laquelle le délai court à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Naturellement, la prescription se distingue de la déchéance qui n’existe pas en droit d’auteur (alors que la forclusion par tolérance est reconnue par le droit des marques), l’auteur conservant ses droits et pouvant ainsi agir contre tout nouveau contrefacteur.