Contrefaçon de droits voisins du droit d’auteur : difficultés probatoires en matière de « sampling »

CA Paris, Pôle 5 – Ch. 2, 10 septembre 2021, n°19/22618

Dans une interview donnée au magazine Rolling Stone, James Brown affirmait : « Je suis le plus samplé, le plus volé. Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est à moi aussi » (“Being James Brown”,
12 juin 2006, Rolling Stone Magazine).

L’utilisation de samples suscite en effet des difficultés en matière de contrefaçon de droit d’auteur et de droits voisins ; l’arrêt commenté en témoigne. 

Un sample est un extrait sonore récupéré au sein d’un enregistrement préexistant et sorti de son contexte afin d’être réutilisé musicalement pour fabriquer un nouvel ensemble. L’extrait en question devient donc une « boucle » utilisable dans la composition d’un morceau. Si la technique existe depuis le milieu du XXème siècle, son utilisation est devenue extrêmement fréquente ces dernières décennies, en particulier dans le genre des musiques électroniques.

En l’espèce, les membres du groupe « The Dø » ont écrit et composé une œuvre intitulée « The bridge is broken », publiée le 16 janvier 2008. L’oeuvre comporte une brève « accroche » à la guitare, reconnaissable du fait d’une texture étouffée, laissant penser qu’elle a été réalisée accidentellement. 

En février 2015, le musicien « Feder », disc jockey, a publié l’enregistrement d’une œuvre intitulée « Goodbye » qui, selon les titulaires des droits sur l’oeuvre préexistante « The Bridge is Broken », reprenait à l’identique cette accroche particulière, caractérisant ainsi une contrefaçon au titre du droit d’auteur et des droits voisins. 

Par jugement du 7 novembre 2019 (TGI de paris, 3e chambre – 1e section, 7 novembre 2019, n°19/03440), le tribunal de grande instance de Paris avait rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon de droit d’auteur, en ce que ce fragment très court ne participait pas de l’originalité de l’oeuvre première prise dans son ensemble. En revanche, la contrefaçon de droits voisins était, pour les premiers juges, caractérisée car le morceau « Goodbye » reproduisait vraisemblablement l’extrait litigieux de l’enregistrement phonographique de «The Bridge is Broken ».

Pour mémoire, la Cour de justice de l’Union européenne avait, dans le cadre d’un arrêt préjudiciel commenté dans une note précédente , aménagé le principe du droit exclusif en matière de samples : le producteur de phonogrammes peut s’opposer à l’utilisation par un tiers d’un sample, même très bref, à moins que cet échantillon n’y soit inclus sous une forme modifiée et non reconnaissable à l’écoute (CJUE,
29 juillet 2019, Pelham GmbH et a. contre Ralf Hütter et Florian Schneider-Esleben, C-476/17).

Dans notre espèce, la forme n’était pas modifiée et était reconnaissable à l’écoute… Mais l’extrait de l’oeuvre seconde n’était pas un sample ! La Cour d’appel de Paris a ainsi infirmé le jugement et écarté la contrefaçon de droits voisins (tout en confirmant l’absence de contrefaçon de droit d’auteur). 

Il semble que les premiers juges avaient retenu une sorte de « présomption de sample », du fait de la ressemblance des extraits comparés. 

Plusieurs expertises ont été sollicitées sans qu’une conclusion unanime puisse être tirée et l’une d’elles affirmait d’ailleurs qu’il n’était en définitive, « pas possible d’affirmer que le Fragment “Goodbye” a samplé un extrait de l’enregistrement “The bridge is broken”, ni d’affirmer le contraire ».

Pourtant, « la preuve incombe à celui qui affirme » et selon un corollaire attribué à Euclide, « ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve ».

Mais il n’empêche que c’est la production de factures attestant que la boucle utilisée avait en réalité été réalisée par un guitariste mandaté par Feder, qui semble avoir été déterminante. 

Sans cette preuve fournie par le défendeur, il n’est pas certain que la contrefaçon de droits voisins eût été écartée. 

On ne peut dans cette mesure que conseiller de procéder, en l’absence d’autorisation de sampler, à des ré-enregistrements et d’en garder la preuve. Il convient toutefois de garder à l’esprit le risque de parasitisme si l’extrait est particulièrement identifié.

Nathan DASSAS