Voyages d’accompagnement clients : contrainte ou congés ?

Cass. Soc. 10 février 2016, 14-14213

Les journées de voyage d’accompagnement de clients ne sont pas du temps de travail effectif dès lors qu’ils ne sont pas obligatoires, que le salarié n’a aucune mission particulière et qu’il peut être accompagné de son conjoint.

Le point était soulevé par un commercial lequel sollicitait une prise en compte au moins partielle du temps consacré pendant ces voyages à « des activités de loisir communes organisées avec les clients ».

La question soulevée était donc celle de la qualification juridique de ces temps de voyage. L’article L 3121-1 du Code du travail qualifie comme tel le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

La jurisprudence est déjà venue éclairer cette définition pour des temps « mixtes » imposant certaines contraintes mais également certaines libertés. Ainsi, les heures de simple permanence dans l’entreprise ont-elles été considérées comme du temps de travail effectif total. Il en va de même pour les temps consacrés à des cocktails ou diners professionnels : dans les deux cas, la relative liberté des salariés n’a pas suffi à écarter la qualification dès lors que les salariés étaient avant tout à la disposition de l’employeur et devaient se conformer à ses directives.

S’agissant de l’astreinte, la même logique a été suivie, avec une application plus fine : le temps d’astreinte à domicile ou à proximité sans intervention constitue une simple contrainte qui doit être indemnisée selon un barème conventionnel ou défini par l’employeur. En cas d’intervention, la qualification de temps de travail effectif s’impose.

La solution retenue par la Haute Cour pour les soirées professionnelles pouvait laisser penser que la demande du salarié visant à rémunérer au moins partiellement les voyages d’accompagnement de clients pouvait prospérer.

A l’analyse, la solution inverse retenue par la Cour de cassation n’apparait pas surprenante et semble suivre la même logique.

Le fait que ces périodes aient été traitées par l’employeur comme des congés payés (posés par le salarié) n’est pas l’élément déterminant du raisonnement, d’ailleurs cette circonstance n’est pas reprise dans le dispositif de l’arrêt.

A l’inverse, le caractère non obligatoire de ces voyages est posé par la Cour comme le fondement du raisonnement juridique. L’absence de toute mission confiée au salarié que la Cour mentionne ensuite vient illustrer que celui-ci n’avait pas à suivre de directives et n’était donc pas placé sous l’autorité de l’employeur. La présence possible du conjoint fait définitivement basculer ces temps de voyages dans la sphère personnelle à l’exclusion de toute connotation professionnelle.

Pour autant, la Cour évacue prestement le caractère obligatoire de la participation à certaines activités avec les clients, destinées à nouer ou renforcer les liens professionnels entre la société et ces derniers.

Il y avait donc bien, un peu comme pour l’astreinte, un certain niveau de contrainte professionnelle, ne serait-ce que minime. A cet égard, la Cour aurait pu envisager le principe d’une indemnisation sans pour autant entrer dans le champ du travail effectif stricto sensu.

La solution retenue par la Cour aurait-elle été la même s’il s’était agi d’examiner une sanction disciplinaire notifiée à un salarié qui aurait eu un comportement fautif à l’égard d’un client au cours de l’une de ces activités communes obligatoires ? A suivre le raisonnement de la Cour, une telle sanction serait probablement fragilisée puisque relative à un comportement intervenant dans un cadre jugé totalement privé. Revers de médaille qui peut laisser songeur.

En tout état de cause, retenons que le critère déterminant reste celui du pouvoir de direction de l’employeur.

Dès lors, s’il s’avérait qu’au-delà du caractère non obligatoire des voyages, l’évaluation de la performance prenait en compte la participation à ce genre d’activités « extra-professionnelles », la question serait bien plus délicate à trancher. Au-delà d’une problématique éventuelle de discrimination, la nature au moins pour partie professionnelle de ces voyages / activités obligatoires pourrait se reposer avec peut-être une solution moins tranchée ou motivée différemment.

Virginie DELESTRE

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