Une prime versée durant huit années consécutives ne suffit pas à caractériser un usage sans fixité de l’avantage
Nous revenons sur une décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 20 novembre 2024 (22-24521), qui précise à nouveau les conditions de reconnaissance d’un usage d’entreprise, et, en particulier, la nécessité de constater la fixité de l’avantage.
En l’espèce, une salariée avait perçu une prime annuelle chaque année, de 2010 à 2017. Aucune prime ne lui avait été versée en 2018, ni en 2019. Le versement de cette prime ne résultait ni de l’application du code du travail, ni du statut collectif applicable dans l’entreprise, ni du contrat de travail de la salariée.
Estimant toutefois que cette prime était devenue un usage au sein de l’entreprise, la salariée saisit le conseil de prud’hommes afin d’obtenir un rappel de primes annuelles, sur la base du montant de la dernière prime allouée.
La cour d’appel fit droit à la demande de la salariée et condamna l’employeur au rappel de primes annuelles au titre des années 2018 et 2019, considérant que le versement continu de la prime annuelle pendant huit années consécutives de 2010 à 2017, caractérisait un usage d’entreprise.
Saisie d’un pourvoi de l’employeur, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle d’abord que selon les dispositions des articles 1100-1 et 1103 du code civil, le paiement d’une prime est obligatoire pour l’employeur lorsque son versement résulte d’un usage répondant à des caractères de généralité, constance et fixité.
Ce faisant, la haute juridiction rappelle que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit », y compris lorsqu’ils sont « unilatéraux » (art. 1100-1 al. 1er c. civ.), ce qui est le cas des usages. Et qu’en tant que tels, ils obéissent « aux règles qui gouvernent les contrats » (art. 1100-1 al. 2 c. civ.) et tiennent donc « lieu de loi à ceux qui les ont faits » (art. 1103 c. civ.). Encore faut-il que les conditions soient remplies.
Après avoir repris la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation juge que :
« En se déterminant ainsi, sans constater, la fixité de l’avantage, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
En effet, la cour d’appel s’était prononcée sans constater que la prime présentait un caractère de fixité, en ce que ni son montant ni son mode de calcul n’étaient définis.
Les critères de constance, généralité, et fixité, caractérisant un usage, sont cumulatifs (Cass. soc., 28 févr. 1996, 93-40883). S’agissant en particulier du critère de fixité, la Cour de cassation juge que l’avantage possède un caractère de fixité lorsqu’il existe un mode de calcul déterminé de l’avantage (Cass. soc., 26 nov. 1987, 85-42946).
En l’occurrence, le simple versement répété d’une prime sur plusieurs années (critère de la constance) ne suffit pas à faire naître un usage d’entreprise quand bien même la prime litigieuse était éventuellement versée à tous les salariés ou une catégorie d’entre eux (critère de la généralité). En l’absence de critères précis permettant d’identifier un montant fixe ou un mode de calcul régulier, le critère de fixité fait défaut, et l’usage ne peut être reconnu.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante mais rappelle avec force l’importance de l’exigence de fixité, souvent négligée dans l’analyse de l’existence des usages d’entreprise.