Une condamnation pour contrefaçon par fourniture de liens hypertextes
Cette décision fait suite à la décision du tribunal de grande instance de Paris du 9 octobre 2014 et à la décision du CSA du 27 mai 2015, que nous avons déjà eu l’occasion de commenter [Netcom septembre 2015 : Le CSA met en demeure France Télévisions dans l’affaire l’opposant à Playmedia].
Depuis la décision de première instance, Playmedia avait modifié le mode de diffusion des chaînes de France Télévisions, en utilisant des liens hypertextes profonds pointant vers le site de France Télévision (technique de « transclusion ») et permettant un accès direct et automatique à ses programmes.
La Cour d’appel confirme la décision de première instance et condamne à nouveau Playmedia pour contrefaçon de droits d’auteur et droits voisins, ajoutant 200.000€ de dommages et intérets pour les faits constatés depuis le 20 novembre 2014. Au titre de la concurrence déloyale, elle condamne Playmedia à 150.000€ de dommages et intérêts.
• Sur l’application du régime « must carry », la Cour estime que Playmedia ne remplit pas les conditions légales lui permettant de revendiquer la qualité de distributeur de service de communication audiovisuelle et les obligations du must carry, notamment du fait qu’elle ne propose pas la souscription à un abonnement, et que son offre ne s’adresse pas à un nombre significatif d’utilisateurs finals utilisant le web comme moyen principal pour recevoir des chaînes de télévision.
La cour retient que dans la mesure où France Télévisions n’a pas l’obligation d’autoriser la reprise de ses chaînes par Playmedia, il ne peut lui être imposé de s’assurer qu’elle dispose des droits nécessaires pour la diffusion de ses programmes sur un service web. La Cour considère ainsi que « si la communication au public par voie électronique est libre, l’exercice de cette liberté par la libre retransmission des programmes audiovisuels ne peut se faire que dans le respect de la propriété d’autrui ».
• Sur la communication au public des programmes par liens hypertextes, la Cour apporte une précision particulièrement intéressante et contrastée avec la jurisprudence récente de la CJUE. En effet, la CJUE a harmonisé la notion de communication au public par les décisions Svensson [Netcom mai 2014 : « Lier n’est pas jouer : sur le statut des liens hypertextes au regard du droit d’auteur »] et Bestwater [Netcom novembre 2014, « Le lien hypertexte au regard du droit de communication au public : La CJUE se prononce sur le cas d’une vidéo intégrée sur un site tiers ( » framing « ) »]. Elle juge ainsi que la publication d’un lien hypertexte dirigeant vers un contenu mis à disposition par l’auteur sur le web sans limitation n’est pas un acte de communication au public soumis à autorisation préalable de l’auteur.
La Cour d’appel de Paris relève cependant que cette harmonisation n’a été réalisée par la CJUE que sur le fondement du droit d’auteur. Elle rappelle dans le même temps que la CJUE a estimé que les législations nationales peuvent reconnaitre aux entreprises de communication audiovisuelle titulaires de droits voisins une protection plus étendue que celle prévue par le droit d’auteur à l’égard des actes de communication au public réalisés par des tiers (CJUE, 26 mars 2015, C-More Entertainment).
Par conséquent, elle juge que la publication de liens hypertextes profonds par Playmedia permettant le visionnage sur son site playtv.fr des programmes diffusés sur le web par France Télévisions depuis son propre site pluzz, sans autorisation, est un acte de communication au public portant atteinte aux droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle dont est titulaire France Télévisions.
C’est donc une décision à rebours de la position du CSA et de celle de la CJUE que rend la Cour d’appel, et il sera intéressant de suivre la position du CSA et le dénouement de l’affaire devant la Cour de cassation.
Loïc FOUQUET