Un site comparateur de prix soumis au régime commun de la responsabilité

TGI Paris, 3ème Ch., 4ème Sect., 15 décembre 2011

Une société française spécialisée dans la fabrication de chaussures pour hommes a découvert, au cours de l’année 2009 et donc assigné un site Internet de commerce en ligne (le site comparateur) qui, via son moteur de recherches, faisait apparaître des offres commerciales provenant de sites tiers et dans le cadre de ce service, proposait le référencement des produits des annonceurs avec des slogans intégrant la marque de la demanderesse (« si vous aimez W….., elles sont pour vous ») sur les pages de son site ou dans les mots clés achetés sur des moteurs de recherches tiers.

Le Tribunal se penche sur les faits de contrefaçon, de concurrence déloyale et parasitaire et de publicité trompeuse commis avant et en cours de procédure, en examinant au préalable la question de la valeur probante de deux procès verbaux de constat produits.

Sur ce premier point, il relève que l’huissier avait omis de constater le changement de site au cours de sa navigation de sorte qu’il pouvait lui être reproché d’avoir réalisé une présentation tronquée des faits de nature à induire en erreur sur la responsabilité encourue par la société de commerce en ligne. Toutefois, la réalité du cheminement de l’huissier figurant dans les annexes qui reproduisent les pages consultées, le Tribunal estime qu’il y a lieu de retenir que le procès verbal contient en lui-même des éléments permettant d’obtenir une information exacte sur les faits, objet du litige.

Le Tribunal analyse le régime de responsabilité du site comparateur qui revendiquait le statut d’hébergeur. Le Tribunal rejette les arguments de la demanderesse visant à écarter la qualité d’hébergeur du site comparateur et notamment ceux tenant :
– aux opérations techniques de présentation et d’organisation des données et à la mise en disposition d’outils de classification des contenus qui sont destinés à assurer une optimisation des fonctions du site, prestations inhérentes à l’hébergement et n’induisant pas une sélection des contenus mis en ligne ;
– à la possibilité pour un site de faire une application distributive des qualités d’hébergeur et d’éditeur à travers les contenus stockés et fournis par des tiers et d’autres édités par la société elle-même ;
– à la sélection des annonceurs ne suffisant pas à caractériser une action éditoriale puisqu’elle n’implique pas la connaissance ni le contrôle des contenus mis en ligne par les annonceurs.

La question de la qualité d’hébergeur du site comparateur se pose toutefois au regard de son intervention dans l’ordre d’apparition des offres des annonceurs qui peut résulter du fonctionnement du moteur de recherches mais qui peut aussi se déduire d’une sélection préalable de marchands ne correspondant pas à un référencement naturel propre à l’algorithme exploité par le site et fondé sur les prix et la popularité des articles.

Le Tribunal confirme que le fait de disposer d’annonces publicitaires sur un site n’exclut pas la qualification d’hébergeur puisque « la distinction entre hébergeur et éditeur ne repose pas sur l’absence d’exploitation commerciale des contenus mais sur la maîtrise que le prestataire de services peut exercer sur ces derniers, l’éditeur se définissant comme la personne qui détermine les contenus qui doivent être à la disposition du public sur le service qu’il a créé dont il a la charge ».

La qualité d’éditeur résulte cependant de la sélection effectuée par le site comparateur parmi les annonces qui lui sont transmises et sur lesquelles il opère un tri du contenu fourni en ne mettant pas en ligne l’intégralité des informations remises.

Le Tribunal note que le site comparateur ne se contente pas d’effectuer des recherches et des extractions de nature purement techniques sur la base des fichiers produits établis par les annonceurs mais qu’il opère une sélection des informations qui vont apparaître sur ses pages, ce qui suppose une prise de connaissance et un contrôle préalable du contenu.

De cette intervention, et de la lecture des conditions générales de services du site comportant la possibilité pour le site de sélectionner, modifier et adapter le contenu de l’annonceur – ce qui confirme que le site ne se livre pas à une simple mise en ligne des informations qui lui sont fournies mais qu’il se réserve le pouvoir d’intervenir sur celles-ci – le Tribunal déduit également la manifestation d’une prise de connaissance et d’un pouvoir de contrôle et d’un rôle actif auprès des annonceurs afin d’optimiser leurs offres

Le rôle actif joué dans le choix de ces informations qu’il porte à la connaissance des internautes fait perdre au site comparateur le bénéfice du régime exonératoire de responsabilité propre à l’hébergeur et le soumet au régime commun de la responsabilité

La responsabilité du point de vue de la contrefaçon est appréciée en considérant que l’annonce que la société de commerce en ligne fait apparaître sur son propre site à partir des informations puisées dans le fichier produits de son client annonceur ne reprend pas le slogan litigieux et que la marque de la demanderesse n’apparait donc pas sur le site comparateur.

Le Tribunal relève que la marque est seulement stockée par le site comparateur en tant que mot clé pour provoquer l’apparition d’une annonce qui redirige vers le site marchand de son annonceur. Le Tribunal rejette donc le grief de contrefaçon invoqué au motif que le site ne fait pas usage de la marque dans le cadre de sa propre communication commerciale mais permet seulement à ses propres clients de faire usage d’un signe identique ou similaire aux marques de la demanderesse. Il en est de même des griefs de concurrence déloyale et parasitaire fondés sur l’usage des signes identiques à la dénomination sociale et au nom de domaine de la société demanderesse.

C’est sur la base des faits constatés en cours de procédure que la contrefaçon de marques va être retenue à travers notamment l’achat de mots clés permettant au site comparateur de faire apparaître la marque W…..dans le titre des annonces reproduites dans les liens commerciaux et dans le corps du message promotionnel.

La contrefaçon ressort de l’atteinte à la fonction d’identification de la marque résultant de l’apparition concomitante à partir de la requête « chaussure w….. » créatrice d’un risque d’association dans l’esprit du public qui pourra croire à un lien économique entre les entreprises en cause. La concurrence déloyale et parasitaire n’est pas prouvée à défaut de faits distincts, les griefs de publicité trompeuse sont eux retenus du fait de l’exploitation de l’image de la marque W….. en vue de capter la clientèle de la demanderesse.

Le montant des réparations alloué s’élève respectivement à 20.000 euros au titre de la contrefaçon et 50.000 euros au titre de la publicité trompeuse compte tenu du nombre de liens sponsorisés sur les deux moteurs de recherches Google et Yahoo!. Une somme de 15.000 euros est en outre allouée au titre de l’article 700.

Armelle FOURLON

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