Un protocole d’accord comme limite à l’exercice du droit moral

CA Paris, Pôle 5, Ch. 2, 8 juin 2012

Par testament du 22 septembre 1962, Jean Cocteau avait légué la totalité de sa succession à Edouard Dermit. Au décès de celui-ci,  le legs devait être transmis à Jean Marais puis à Carole Weisweiller à qui appartenait la charge de déterminer qui serait capable d’exercer une surveillance.

Par codicilles des 29 décembre 1994 et 14 mars 1995, Edouard Dermit conférait l’exercice du droit moral sur l’œuvre de Jean Cocteau à Pierre Bergé tout en précisant que cet exercice s’accompagnait d’une consultation écrite de Carole Weisweiller.

Par protocole d’accord du 11 octobre 1995, les héritiers (y compris Pierre Bergé) renonçaient à tout contentieux portant sur les dispositions du testament de Jean Cocteau. Un comité Jean Cocteau était créé dont Pierre Bergé s’était vu confier la présidence. Les signataires du protocole d’accord s’étaient engagés à reconnaitre Annie Guedras comme seul expert de l’œuvre graphique et plastique de Jean Cocteau.

Dans le cadre d’un projet de création d’un musée Jean Cocteau à Menton, le donateur s’opposait à ce qu’Annie Guedras fasse partie du comité scientifique ce qui avait pour conséquence de bloquer toute avancée.

Ayant été écartée au profit d’un autre expert, Annie Guedras a assigné Pierre Bergé en responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1134, 1142 et 1147 du Code civil, devant le TGI de Paris, qui a condamné ce dernier.

Suite à l’appel interjeté par Pierre Bergé, la Cour d’appel a confirmé la position des juges de première instance.

La Cour  rappelle que si Pierre Bergé est titulaire du droit moral sur les œuvres de Jean Cocteau en vertu du codicille du 29 décembre 1994, il demeure tenu par le protocole d’accord qu’il a personnellement signé et par lequel il s’engageait à en honorer les termes. Or, ce dernier reconnaissait Annie Guedras comme seul expert des œuvres de Jean Cocteau. Ainsi, sa volonté de présenter un nouvel expert avant même la démission de celle-ci constituait un manquement à cet accord.

Par conséquent en écartant Annie Guedras, alors que « le fait d’être reconnue comme seul expert par les parties avait pour corollaire la reconnaissance de la titularité du droit moral sur l’œuvre de Jean Cocteau au profit de Pierre Bergé », ce dernier a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle.  La Cour d’appel chiffre à 100 000 euros le préjudice correspondant.

Cette affaire illustre une nouvelle fois les difficultés liées à l’exercice du droit moral d’un auteur défunt.

Michaël LE GOFF

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