Transaction conclue avec un auteur : appréciation de la renonciation de l’auteur à invoquer une atteinte ultérieure à son droit moral

TGI PARIS, 3e ch. – 1ère sect. – 14 septembre 2010

Dans l’affaire opposant l’auteur Manu Dibango aux ayants droit de l’œuvre musicale « Wanna Be Startin’ Somethin’ » (l’un des standards du répertoire de Michaël Jackson publié en 1983 dans l’album Thriller), le Tribunal de Grande Instance de Paris a été amené à se prononcer sur la portée d’une transaction par laquelle un auteur renonce à contester la paternité d’une œuvre qu’il estime contrefaisante et s’interdit en conséquence d’en contester les exploitations passées, actuelles et futures.

Ce schéma transactionnel d’une grande banalité dans le contentieux de la propriété littéraire et artistique correspondait à celui mis en œuvre dans le protocole d’accord conclu en 1986 par les ayants droit de l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin’ » avec Manu Dibango, après que celui-ci ait engagé une action en justice aux fins de faire juger que cette chanson divulguée sous le nom de Michaël Jackson serait une contrefaçon de son œuvre « Soul Makossa ». L’affaire avait fait grand bruit à l’époque, d’autant que le tribunal avait retenu la contrefaçon en première instance.

Suite à cet accord soldant la contestation soulevée par Manu Dibango, l’exploitation intensive de l’œuvre «Wanna Be Startin’ Somethin’ » s’était poursuivie avec le succès que l’on sait. C’est au sujet d’une adaptation de cette œuvre que le contentieux a resurgi plus de vingt ans après la signature de la transaction, Manu DIBANGO faisant valoir que l’œuvre intitulée « Don’t Stop the Music » interprété par Rihanna – intégrant un extrait de « Wanna Be Startin’ Somethin’ » – portait atteinte à son droit à la paternité en l’absence de mention de son nom. Concernant cette exploitation, Manu Dibango avait finalement consenti à conclure (à nouveau) une transaction avec le producteur de l’enregistrement, suivie par la signification de conclusions de désistement d’instance et d’action.

En dépit de ces différentes transactions, Manu Dibango a de nouveau saisi le tribunal aux fins de contester d’une part, l’exploitation de l’œuvre « Don’t Stop the Music » en faisant cette fois valoir l’atteinte portée au droit au respect de son œuvre « Soul Makossa », et d’autre part l’exploitation d’un remix de « Wanna Be Startin’ Somethin’ » interprété par l’artiste AKON. Pour contester ces exploitations, toutes expressément autorisées par les ayants droit de « Wanna Be Startin’ Somethin’ », Manu Dibango soutenait que l’objet de la transaction la plus récente concernant l’exploitation de l’œuvre « Don’t Stop the music » ne portait que sur l’atteinte alléguée à son droit au nom et que la transaction signée en 1986 ne pouvait emporter renonciation de sa part à invoquer une atteinte à son droit moral – inaliénable et imprescriptible – du fait d’exploitations futures et dérivées de l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin’ ».

La question centrale qui se posait au tribunal était donc double. Il s’agissait d’une part de déterminer si, concernant l’œuvre « Don’t Stop the Music », la renonciation issue de la transaction conclue par Manu Dibango concernant l’atteinte alléguée au droit moral en l’absence de mention de son nom pouvait être tenue en échec par une nouvelle contestation fondée, cette fois, sur son droit au respect de l’œuvre. Il s’agissait d’autre part de juger sur un plan plus général si Manu Dibango pouvait, sur le fondement de son droit moral, contester les nouvelles exploitations dérivées de l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin » en dépit de la transaction de 1986. Le tribunal a répondu par la négative sur ces deux points déclarant dès lors Manu Dibango irrecevable dans son action.

Sur le désistement de l’auteur concernant l’œuvre « Don’t Stop The Music », le Tribunal souligne tout d’abord que le caractère inaliénable et imprescriptible du droit moral n’est nullement incompatible avec la renonciation de l’auteur à se prévaloir d’une atteinte à ce droit « soit à l’occasion d’une instance en cours soit au sein de protocoles transactionnels tranchant un litige l’opposant à un tiers ». Ce premier principe (sans lequel la portée de la transaction serait considérablement réduite) étant rappelé, le Tribunal prend soin d’insister sur l’effet procédural particulier que produit le désistement d’instance et d’action. Selon les juges, en raison de son pouvoir déclaratif, un tel désistement emporte, dès signification, « l’extinction » du droit à l’origine de la contestation. Dès lors, en se désistant de l’instance et de l’action fondée sur une atteinte à son droit moral résultant de l’exploitation de l’œuvre « Don’t Stop the Music » interprétée par Rihanna, Manu DIBANGO « a renoncé définitivement à agir sur le fondement de son droit moral pour l’exploitation de ce titre ». Si la renonciation n’est donc pas générale puisqu’elle ne porte que sur l’atteinte alléguée au droit moral que réaliserait l’œuvre « Don’t Stop the Music », elle n’en est pas moins absolue concernant cette œuvre et entraîne que Manu DIBANGO ne peut non seulement la critiquer en invoquant une atteinte au droit au respect dû à l’œuvre « Soul makossa » après avoir invoqué une atteinte à son droit au nom mais également qu’il « n’est pas davantage recevable à agir du fait des interprétations qui en ont été faites ultérieurement par d’autres artistes [que Rihanna] ».

Concernant la portée de la transaction de 1986 (soumise au droit de l’Etat de New York), la motivation du jugement est quelque peu différente car, en l’absence de désistement d’instance et d’action invoqué par les parties, le tribunal a dû analyser le contenu de l’accord pour en déduire l’intention des parties. Le tribunal observe à cet égard que l’existence de la contrefaçon alléguée par Manu Dibango n’est pas reconnue par la transaction de 1986 et qu’au contraire l’accord constate le caractère « libre » de l’exploitation « passée, présente ou future » de l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin » par toute méthode ou dispositif.

Se fondant sur le caractère non équivoque de cette reconnaissance mutuelle, le Tribunal considère que l’intention telle qu’exprimée par les parties a été de mettre un terme au litige qui les opposait alors mais également de prévenir « tout litige ultérieur » concernant l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin’». Le caractère extrêmement large, mais néanmoins précis de la renonciation, s’oppose à ce que Manu Dibango conteste, y compris sur le fondement du droit moral, les exploitations dérivées de l’œuvre « Wanna Be Startin’ Somethin’ » dès lors que celles-ci ont été autorisées par ses ayants droit dans la plénitude d’exercice des prérogatives que leur reconnaît la transaction.

Cette affaire et la décision rendue par le Tribunal – non définitive à ce stade – confirment l’intérêt et le soin qu’il convient d’apporter à la rédaction des clauses de renonciation à action dans le cadre de transactions relatives à des contrefaçons alléguées en matière de droit d’auteur.

Hélèna DELABARRE

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