Titre : L’actrice, le droit à l’image et les bonus du film

TGI Paris 17e Ch. Presse-Civile, 11 avril 2012

Dans cette affaire, une actrice a assigné la société de production d’un film cinématographique pour lequel elle avait été engagée, 20 ans après la sortie du film en salles. L’actrice reprochait, dans le cadre de l’exploitation vidéographique du film, l’utilisation sans son accord de bonus au sein desquels elle apparaissait à l’image.

L’un deux reproduisait des extraits du film entrecoupés d’images filmées dans les coulisses ou pendant les répétitions, l’autre était un court-métrage dont l’objet était de filmer certaines scènes du film en train d’être tournées par les réalisateurs.

Concernant les scènes extraites du film ou filmées durant le tournage « alors que les comédiens sont en situation et interprètent leur rôle », le Tribunal a considéré que la demanderesse ne pouvait formuler aucune revendication sur le fondement de ses droits d’artiste-interprète en faisant valoir qu’aux termes de son contrat d’engagement il était clairement prévu que « la rémunération de l’artiste comprend le droit d’utiliser tout ou partie du film en vue de la reproduction totale ou fragmentaire par tous moyens (…) connus ou inconnus à ce jour ».

Concernant les images tournées dans les coulisses et à l’occasion de répétitions informelles, le Tribunal a estimé que la demanderesse ne pouvait invoquer la violation de ses droits d’artiste-interprète sur le fondement de l’article L 212-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dès lors que « les images en cause ont été filmées en dehors de toute prestation de sa part et non en qualité d’artiste-interprète ».

Les revendications de la demanderesse ne pouvaient pas davantage prospérer sur le fondement de l’article 9 du Code Civil (qui permet à toute personne de s’opposer à la diffusion de son image sans son autorisation). Le Tribunal a en effet rappelé selon une motivation courante que « ce droit n’est cependant pas absolu et doit se concilier avec la liberté d’expression garantie par les articles 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales » et qu’en conséquence  « le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées, sauf dans le cas d’une reproduction contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité ».

En l’espèce, le Tribunal retient l’absence d’atteinte au droit à l’image après avoir relevé que les deux bonus litigieux (reproduisant « quelques fugitives images de la demanderesse hors de toute prestation contractuelle et de nombreuses autres qui ne la concernent pas ») sont directement rattachés au film et constituent l’un et l’autre un « document d’information du public et d’illustration tant des conditions de création artistique d’une œuvre de l’esprit que des conditions de travail dans lesquelles s’est déroulé le tournage d’un film (…) ».

Par ailleurs, le Tribunal a fait valoir que les deux bonus litigieux étaient des œuvres de l’esprit et qu’il ne saurait être fait obstacle à leur communication au public, au seul motif qu’ils contiennent quelques images de l’actrice, qui n’ont en outre pas été tournées à son insu.

L’actrice a également été déboutée de ses demandes sur le terrain du droit moral (elle faisait grief du défaut de mention de son nom au générique du court-métrage reproduit en bonus), le Tribunal a en effet estimé qu’elle ne pouvait aucunement revendiquer la qualité d’artiste-interprète « d’une œuvre à l’occasion de laquelle elle n’effectue aucune prestation spécifique, se bornant soit à être filmée par [la réalisatrice du court-métrage] alors qu’elle est en train d’être filmée par [les réalisateurs du film] dans le cadre de sa prestation contractuelle pour le film (…) soit à être filmée en dehors de toute prestation artistique, dans les coulisses ou lors des répétitions informelles ».

Cette décision offre une nouvelle illustration de la suprématie du droit d’informer face au droit à l’image et adopte une analyse très pragmatique de la réalité du contexte d’un tournage et de la portée de l’engagement.

 

Dorothée SIMIC

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