Sur la responsabilité de l’hébergeur en cas de contenu en ligne manifestement illicite édité par un site étranger

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 23 novembre 2022, n° 21-10.220

Dans un arrêt en date du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a précisé que le caractère manifestement illicite d’un contenu en ligne pouvant engager la responsabilité d’un hébergeur se détermine en fonction de la loi du territoire du public ciblé par le site. De ce fait, un hébergeur d’un site internet étranger faisant la promotion d’activités de gestation pour autrui à destination du public français engage sa responsabilité si, après avoir été informé du caractère manifestement illicite en droit français du contenu du site qu’il héberge, il s’abstient de le retirer ou d’en empêcher l’accès promptement.

Pour rappel, la loi du 21 juin 2004, dite loi LCEN, pose un principe d’absence d’obligation de surveillance générale pour les hébergeurs quant aux contenus qu’ils hébergent. En d’autres termes, ces derniers ne sont pas censés avoir connaissance de tous les contenus qu’ils stockent.

Cependant, l’article 6. I. 2 de de cette même loi admet que la responsabilité d’un hébergeur peut être engagée si, dès le moment où il a eu connaissance d’un contenu illicite, et notamment par la mise en demeure d’internautes lui signalant un tel contenu, celui-ci n’a pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. Par une décision du 10 juin 2004 portant sur la conformité de cet article, le Conseil constitutionnel a précisé que la responsabilité de l’hébergeur ne pouvait être engagée que si l’information dénoncée par le tiers était « manifestement illicite » (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004/496).

En l’espèce, une société de droit espagnol éditait un site internet contenant des informations accessibles en français et proposant des entremises entre des mères porteuses et des clients. La société espagnole avait confié l’hébergement du site à une société française.

Une association a alors mis en demeure l’hébergeur du site de rendre le contenu inaccessible sur le territoire français en raison du caractère illicite de la gestation pour autrui, prohibée par la loi française. L’hébergeur a refusé de donner suite à cette sollicitation en faisant valoir que, en l’absence de contenu manifestement illicite, il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités judiciaires pour trancher un litige opposant l’association à la société exploitant le site. 

Suite à ce refus, l’association a assigné l’hébergeur afin qu’il lui soit fait injonction de rendre inaccessible le site internet litigieux et qu’il soit condamné à lui payer des dommages-intérêts. Les juges en première instance ainsi que la Cour d’appel firent droit aux prétentions de l’association en considérant que les activités proposées par le site avaient bien un caractère manifestement illicite (CA Versailles, 13 oct. 2020, n° 19/02573).

L’hébergeur du site a alors formé un pourvoi en contestant l’applicabilité de la loi française au litige ainsi que le caractère manifestement illicite de la gestation pour autrui. Pour l’hébergeur, quand bien même le site était accessible au public français, aucune activité interdite par le droit français n’était effectivement exercée en France et la gestation pour autrui ferait encore l’objet de débats.

La Haute juridiction a rejeté le pourvoi formé par l’hébergeur, approuvant le raisonnement de la Cour d’appel. Selon la Cour de cassation, même si aucune activité de gestation pour autrui en tant que telle n’était pratiquée sur le sol français, le site internet était bien manifestement illicite car le public français était la cible de celui-ci. En effet, le site internet permettait d’avoir accès à des pratiques de gestation pour autrui depuis la France, contrevenant « explicitement aux dispositions, dépourvues d’ambiguïté, du droit français prohibant la GPA ».

Premièrement, pour apprécier le caractère manifestement illicite, la Cour de cassation a pris en compte la loi du pays d’accès et de ciblage du contenu, soit la loi française (et non la loi de l’émission du contenu du site internet, qui aurait été la loi espagnole). Deuxièmement, le caractère manifestement illicited’un contenu s’apprécie au regard de la législation française. Une interdiction ne laisse pas place à interprétation et il n’importe pas que la prohibition légale fasse l’objet d’un débat, comme c’était le cas en l’espèce avec la gestation pour autrui.

Cette décision de la Cour de cassation offre donc une nouvelle application concrète des dispositions de la loi LCEN.  Elle pose une définition plus précise du caractère « manifestement illicite » d’un contenu proposé sur un site internet, permettant d’engager la responsabilité des hébergeurs dès lors que l’activité du site est prohibée en droit français, quand bien même cette activité ne serait pas illicite dans le territoire de l’éditeur du site.