SMS professionnels et liberté d’expression : les limites de la protection de la vie privée

Les SMS envoyés depuis un téléphone professionnel sont-ils vraiment privés ? Par un arrêt du 11 décembre 2024 (Cass. soc., 11 déc. 2024, 23-20.716, publié au bulletin), la Cour de cassation tranche : ces messages sont présumés professionnels et peuvent être utilisés à l’appui d’une sanction disciplinaire.

Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence relative à la distinction entre vie privée et vie professionnelle, en réaffirmant la présomption de caractère professionnel des messages échangés via un outil mis à disposition par l’employeur.

Dans cette affaire, un salarié occupant un poste à responsabilités avait utilisé son téléphone professionnel pour envoyer des SMS critiques et dénigrants envers l’entreprise et ses dirigeants. Ces messages, bien qu’adressés à un cercle restreint de collègues et anciens collaborateurs, contenaient des propos injurieux et excessifs. Le salarié « avait détourné l’appellation « l’EPD » (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes « on peut vraiment dire : le PD » pour désigner le directeur général ». L’employeur a considéré ces échanges comme une atteinte grave à l’image et au fonctionnement de l’entreprise, justifiant ainsi un licenciement pour faute lourde.

Le salarié a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes. Il soutenait que :

  • ces messages relevaient de sa vie privée et ne pouvaient donc être invoqués à l’appui d’une sanction disciplinaire ;
  • ses propos relevaient de sa liberté d’expression (art. L1121-1 c. trav. et art. 10 CESDH).

La Cour de cassation a rejeté ces arguments, confirmant la décision d’appel, rappelant que les messages envoyés depuis un téléphone professionnel sont présumés avoir un caractère professionnel. Ainsi, a été retenu que (§.11) :

« les messages litigieux, qui bénéficiaient d’une présomption de caractère professionnel pour avoir été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail et dont le contenu était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, la cour d’appel a exactement déduit, peu important que ces échanges ne fussent pas destinés à être rendus publiques, qu’ils pouvaient être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire. »

En effet, ainsi que l’avait jugé la cour d’appel, le salarié ne pouvait pas prétendre que les messages revêtaient un caractère privé attendu que les propos visés avaient été tenus « lors d’échanges avec des salariés en poste, ou des salariés ayant quitté la société concernant les litiges prud’homaux les opposant à celle-ci et, ensuite, qu’il s’agissait de propos critiques de la société et de propos dénigrants à l’égard de ses dirigeants ».

Néanmoins, cette présomption peut être renversée si le salarié démontre que les messages revêtaient un caractère strictement privé. Ainsi, comparativement, a été jugé sans cause réelle et sérieuse, le licenciement d’un salarié qui avait pourtant tenu des propos insultants à l’encontre de son supérieur hiérarchique (le salarié sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié un intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur) au moyen de la messagerie intégrée à son compte Facebook personnel quand bien même elle était installée sur son ordinateur professionnel dès lors qu’il s’agissait d’un motif tiré d’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, 21-11330, §5 et 6). À défaut d’une telle preuve, l’employeur est en droit d’utiliser ces échanges dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

Cet arrêt s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie :

  • Cass. com., 10 février 2015, 13-14.779 : La chambre commerciale avait admis que les SMS envoyés depuis un téléphone professionnel pouvaient être consultés par l’employeur. Dans l’affaire commentée, la chambre sociale vient ici confirmer cette analyse et préciser son application en matière disciplinaire.

  • Cass. soc., 9 septembre 2020, 18-20.489 : La Cour avait validé l’utilisation de messages électroniques échangés via des outils professionnels pour justifier une sanction disciplinaire, dès lors qu’ils n’étaient pas identifiés comme personnels et portaient sur l’activité professionnelle. L’arrêt commenté vient renforcer cette approche en confirmant que la présomption de caractère professionnel s’applique également aux SMS, dès lors qu’ils ont été envoyés via un téléphone fourni par l’employeur.

  • Cass. soc., 30 septembre 2020, 19-10.123 : L’abus de la liberté d’expression est constitué lorsque des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs sont tenus à l’encontre de l’employeur, de ses salariés ou de l’image de l’entreprise. En l’absence de tels abus, la liberté d’expression prime.

À l’inverse, la Cour de cassation a rappelé que le respect de la vie privée du salarié demeure protégé même lorsque des outils professionnels sont utilisés :

  • Cass. soc., 25 septembre 2024, 23-11.860 : Des messages privés échangés via une messagerie professionnelle ne peuvent fonder un licenciement disciplinaire si leur contenu est strictement privé et sans lien avec l’activité professionnelle ; ici la nullité du licenciement a été prononcée (voir notre précédent flash ici).

La décision commentée (Cass. soc., 11 déc. 2024, 23-20716) réaffirme une règle fondamentale : un téléphone professionnel n’est pas un espace privé. Ainsi, un employeur peut utiliser des messages échangés via un téléphone professionnel pour établir une faute disciplinaire, sous réserve qu’ils conservent un lien avec l’activité professionnelle.