Revente de fichiers musicaux: les juges américains rejettent l’exception de « First Sale »

US District Court, Southern District of New York, Capitol Records LLC v. ReDigi Inc., 30 mars 2013

A contre-courant de la position récemment retenue par la CJUE ayant jugé licite la revente d’un logiciel d’occasion concédée pour une durée illimitée sur le fondement de la théorie de l’épuisement des droits [voir Netcom juillet 2012], les juges américains ont adopté une solution contraire concernant la revente en ligne, sur le site ReDigi, de titres MP3 légalement acquis via Itunes en application de la doctrine du « First Sale ».


Le site ReDigi.com offre la possibilité aux internautes, via une plateforme dédiée, de vendre et d’acheter les fichiers MP3 légalement acquis sur iTunes pour une fraction du prix de vente initial. Selon le modèle économique proposé, le prix de revente de chaque titre MP3 serait compris entre 59 et 79 cents et réparti comme suit : 20% alloué au vendeur, 20% placé sur un compte séquestre au bénéfice de l’artiste et 60% retenu par ReDigi.

Pour accéder à ce service, les internautes doivent télécharger sur leur ordinateur le logiciel ReDigi Media Manager permettant l’identification des titres éligibles à la vente qui y sont enregistrés et leur suppression une fois que ces titres ont été revendus sur la plateforme. Les titres éligibles sont ensuite uploadés dans un Cloud sécurisé et l’internaute indique pour chacun d’entre eux s’il souhaite uniquement bénéficier d’un service de stockage et d’écoute en streaming ou s’il souhaite les proposer à la vente.

La société Capitol Records a introduit une procédure à l’encontre de ReDigi pour atteinte à ses droits exclusifs de reproduction et de distribution au visa de l’article 106 du Copyright Act.

En défense, la société ReDigi a tout d’abord soulevé que le système mis en place ne portait pas atteinte au droit de reproduction dans la mesure où les fichiers MP3 transférés dans le Cloud correspondaient aux fichiers d’origine valablement achetés et détenus par ses clients internautes et qu’aucune copie locale n’était enregistrée sur l’ordinateur de l’internaute aux fins de transfert.

Le juge fédéral a rejeté cet argument au motif que la procédure de migration entraînait en tout état de cause la création d’une copie du fichier sur les serveurs de ReDigi en infraction au droit de reproduction de Capitol Records. La motivation retenue par le tribunal sur ce point est intéressante. Le juge a en effet considéré que lorsqu’un fichier musical est fixé dans la mémoire d’un ordinateur, un objet matériel est créé et que « c’est la création d’un nouvel objet matériel et non d’un objet matériel additionnel qui définit le droit de reproduction ». Par conséquent, le droit de reproduire une œuvre protégée par le copyright est mis en jeu dès lors qu’un enregistrement sonore est fixé dans un nouvel objet matériel, indépendamment du fait que cet enregistrement sonore reste fixé dans l’objet matériel d’origine.

Le tribunal a également rejeté le bénéfice de l’exception du « fair use », dès lors que le transfert dans le Cloud des enregistrements sonores dans leur intégralité permettait à Redigi de générer des revenus commerciaux au détriment du premier marché de l’industrie du disque.

S’agissant du droit de distribution, l’article 109 du Copyright Act prévoit que lorsque « le propriétaire des droits met un article protégé par le copyright dans le flux du commerce en le vendant, il a épuisé son droit légal exclusif de contrôler sa distribution ». La société ReDigi faisait valoir que son service basé sur la revente de fichiers MP3 légalement acquis était licite sur le fondement de cette exception de « First Sale ».

Le tribunal new-yorkais a de nouveau rejeté cet argument en défense. Il a en effet considéré que cette exception bénéficiait uniquement aux articles physiques mis dans le commerce. Ainsi, pour la musique numérique, la doctrine du « First Sale » ne peut s’appliquer qu’aux supports sonores sur lesquels l’enregistrement est fixé (c’est-à-dire disques, disques durs, iPod ou autre appareil de stockage). Dès lors que l’activité de ReDigi porte uniquement sur la commercialisation de fichiers musicaux et non sur celle de supports médias physiques sur lesquels ces fichiers sont enregistrés, la théorie du First Sale n’aurait pas vocation à s’appliquer.

Cette décision outre-Atlantique pose un nouveau jalon judiciaire dans le domaine de la vente de biens culturels numériques d’occasion. Elle se distingue de l’arrêt rendu par la CJUE en juillet 2012 qui avait estimé a contrario que la théorie de l’épuisement des droits s’étendait au téléchargement en ligne. La portée de cet arrêt a été relativisée compte tenu de son application à un logiciel. Reste à savoir si l’interprétation par les juges européens des exceptions au droit d’auteur sera plus stricte s’agissant de la revente de fichiers de musiques ou de films.

Sabine DELOGES