Respect de la dignité de la personne humaine et sauvegarde de l’ordre public : les mises en demeures du CSA en lien avec le traitement des événements de janvier 2015

Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
Décisions n°2015 du 11 février 2015 portant mise en demeure des sociétés TF1, France, France Télévisions, BFM TV, i>télé, France Inter, Euronews, la Chaîne Info, Europe 1, RTL, RFI, RMC, et autres

Lors des événements dramatiques survenus les 7 et 9 janvier 2015, les médias ont couvert cette actualité immédiate, par définition et pour une grande part en direct, dans le cadre de leur devoir d’information.

Dès le 9 janvier 2015, le CSA avait rédigé une note à l’attention des rédactions des radios et télévision pour les inciter à agir avec le plus grand discernement, notamment, en vue de permettre aux forces de l’ordre de remplir leur mission avec toute l’efficacité requise au suivi des investigations en cours.

Une réunion du 15 janvier 2015 avec les responsables des chaînes a scellé le souhait d’engager une réflexion commune sur le traitement de cette actualité. Parallèlement à ces concertations, et après avoir procédé à l’analyse de plusieurs centaines d’heures de programmes, le CSA a relevé trente-six manquements. Il a, en conséquence, adressé aux télévisions comme aux radios, pour certains des lettres de mises en garde et des lettres de mises en demeure, en fonction de la gravité des manquements qu’il a retenus.

Les manquements relevés à travers la diffusion de plusieurs mêmes catégories d’image ou de déclarations sont qualifiés au visa de l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 qui limite la liberté de communication au public dans la mesure requise d’une part par le respect de la dignité de la personne humaine et d’autre part la sauvegarde de l’ordre public. Les termes des conventions liant les chaines aux CSA sont rappelés notamment dans leurs dispositions relatives au respect de la présomption d’innocence et à la nécessité lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée de la traiter avec mesure, rigueur et honnêteté et de ne pas constituer d’entrave caractérisée à cette procédure.

La diffusion d’images issues de la vidéo montrant le policier abattu par les frères Kouachi le 7 janvier 2015, non floutées faisant entendre les détonations d’armes à feu ainsi que la voix de la victime exposant son visage et sa détresse a été considérée comme portant atteinte au respect de la dignité humaine.

La divulgation d’éléments précis d’information (le nombre, l’existence d’une fratrie, la condamnation de l’un d’eux dans le cadre d’une filière terroriste irakienne, la perte de la carte d’identité) participant à l’identification des frères Kouachi, a été considérée comme susceptible de perturber l’action des autorités compte tenu de leur diffusion avant l’appel à témoin émis par la Préfecture de police et sans considération des demandes précises et insistantes faites par le Procureur de la République. Le CSA retient que ces divulgations ont pu nuire au bon déroulement des enquêtes en cours et qu’elles caractériseraient la méconnaissance de règles élémentaires de prudence permettant d’assurer le maintien de la sécurité publique et la sauvegarde de l’ordre public.

Est également retenue comme de nature à remettre en cause la sécurité et la vie des otages, la divulgation, le 9 janvier 2015, de l’information relative à l’assaut donné par les forces de l’ordre à l’encontre des frères Kouachi, concomitamment à celle faite à l’Hyper Cacher de Vincennes.

Le CSA note également, concernant certaines télévisions, qu’à trois reprises au moins l’information relative à la présence probable d’une personne cachée ou retenue au sein de l’imprimerie a été annoncée à l’antenne, de même que celle relative aux personnes cachées dans la chambre froide de l’Hyper Cacher de Vincennes, cette divulgation caractérisant un autre manquement aux règles élémentaires de prudences permettant d’assurer le maintien de la sécurité publique et la sauvegarde de l’ordre public.

Enfin, la diffusion des images montrant les tirs mortels sur le terroriste retranché dans l’Hyper Cacher alors qu’il affrontait les forces de l’ordre sont également jugées insistantes et susceptibles de nourrir les tensions et les antagonismes pouvant contribuer à troubler l’ordre public.

Certains medias ont invoqué le fait d’avoir donné notamment l’information relative à l’assaut concomitant et à la présence d’otages retranchés dans la chambre froide de l’Hyper Cacher, « en se basant sur des sources haut placées et directement engagées dans les opérations sur place » assurant aux journalistes que « cette personne ou ces personnes retranchées étaient hors de danger », mais le CSA rejette ces allégations à défaut pour elles d’être précises et étayées. Alors qu’il n’est pas certain que des consignes policières strictes aient été données, argument avancé par certains, Nicolas About l’un des membres du groupe de travail du CSA sur le sujet rétorque « si doute il y a, ce que je ne crois pas, il faut appliquer le principe de précaution en raison des vies en jeu ».

Ces décisions du CSA ont suscité de vives réactions, des directeurs de l’information des chaines comme des syndicats estimant que le CSA s’était arrogé le droit de faire évoluer ses missions et de se transformer en censeur des ondes. Un communiqué commun évoque l’injonction « au silence » du CSA qualifiant sa réaction de volonté de mise aux pas clairement attentatoire à la liberté d’informer…

Des recours ont été formés par la plupart des radios et télévisions concernées. Le débat porte aussi sur le constat de la disparité des obligations notamment lorsque les mêmes informations ont été reprises à loisirs par les sites internet des médias ou sur les réseaux sociaux, pour lesquels le CSA ne dispose d’aucun pouvoir de régulation.

Certains syndicats ont appelé à la création d’une véritable instance nationale de déontologie associant des représentants des journalistes, des éditeurs et du public tandis que le CSA suggère dans son communiqué établi au sujet de ces décisions d’apporter à la recommandation n°2013-04 du 20 novembre 2013 relative au traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des actes terroristes par les services de communication audiovisuelle, trois adjonctions concernant le respect de la dignité humaine, la sauvegarde de l’ordre public et la maitrise de l’antenne. Cette recommandation énonce d’ailleurs les difficultés particulières attachées au traitement de ce type de sujets dans l’exercice de la mission fondamentale d’information des journalistes. Ces propositions seront l’objet d’une consultation auprès des médias destinataires de la recommandation.

Armelle FOURLON

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