Réparation du préjudice concurrentiel : condamnation de Sanofi à des dommages et intérêts plus élevés que l’amende lui ayant été infligée par l’Autorité de la concurrence
Par un arrêt rendu le 24 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris a condamné in solidum les sociétés Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie (ci-après, « Sanofi ») à verser à la Caisse nationale de l’assurance maladie (ci-après, « CNAM ») 150 748 005 euros en dommages-intérêts pour la réparation de son préjudice causé par des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées en 2013 par l’Autorité de la concurrence[1] (ci-après, « Autorité »).
En l’espèce, entre septembre 2009 et janvier 2010, Sanofi avait mis en œuvre une stratégie de dénigrement à l’encontre des génériques du Plavix, un médicament du groupe utilisé pour prévenir les maladies cardiovasculaires graves. Ce dénigrement consistait à inciter, d’une part, les médecins à apposer la mention « non substituable » sur les ordonnances prescrivant le Plavix et d’autre part, les pharmaciens à substituer le générique du Plavix produit par Sanofi, au détriment des autres génériques concurrents.
En 2013, l’Autorité avait condamné Sanofi à une amende de 40,6 millions d’euros pour abus de position dominante, décision confirmée par la Cour d’appel de Paris[1].
A la suite de cette sanction devenue définitive, la CNAM, s’estimant victime du dénigrement organisé par Sanofi, a engagé une action en responsabilité devant le tribunal de commerce de Paris, en demandant réparation de son préjudice consistant au surcoût lié aux remboursement des assurés et aux rémunérations plus élevées des pharmaciens.
Par un jugement du 1er octobre 2019[2], le tribunal de commerce de Paris a rejeté sa demande en la déclarant prescrite.
Sur appel de la CNAM, la cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement considérant que l’action n’était pas prescrite, et a ordonné une expertise judiciaire[3].
Après le rejet du pourvoi en cassation de Sanofi[4], l’affaire a été de nouveau soumise à la Cour d’appel de Paris.
S’agissant du préjudice résultant du surcoût lié aux remboursements des assurés de la CNAM, les débats ont principalement porté sur l’impartialité et la robustesse de l’expertise judiciaire ainsi que la durée des effets du dénigrement.
La Cour d’appel rejette successivement les moyens de Sanofi. Elle juge que les pratiques de Sanofi, bien que limitées à 5 mois, ont eu un effet durable sur les habitudes des professionnels de santé, perceptibles jusqu’en 2021, soit onze années après leur cessation, grâce notamment, à une analyse concrète de l’impact de ces pratiques.
Par la suite, dans le cadre de l’évaluation du préjudice de la CNAM, la Cour d’appel rejette l’argument de Sanofi selon lequel la CNAM aurait bénéficié du dénigrement en ce qu’il aurait conduit les pouvoirs publics à décider d’une baisse des prix du Plavix.
S’agissant du préjudice lié aux rémunérations plus élevées des pharmaciens, la CNAM affirme avoir subi un préjudice en ce que le retard de « générification » a conduit à une hausse importante du taux de substitution, et ce faisant, à une hausse de la rémunération des pharmaciens. La Cour d’appel accueille la demande de la CNAM.
Enfin, la Cour d’appel accorde 24 525 011 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, tout en rappelant la différence entre les intérêts compensatoires et les intérêts moratoires. Concernant les intérêts compensatoires, la Cour d’appel considère qu’il convient de distinguer dans le calcul, le préjudice nouveau, qui se concrétise au fil du temps, et le préjudice existant, qui se reporte d’année en année.
Outre le montant élevé des dommages-intérêts, l’arrêt est important car il illustre la complémentarité entre les poursuites et la sanction des pratiques anticoncurrentielles (public enforcement) et l’indemnisation des victimes par la voie d’action en responsabilité civile (private enforcement), pour dissuader les entreprises de s’affranchir des règles de concurrence : ces dernières doivent prendre en compte tant le risque lié à une sanction de l’Autorité que celui d’une condamnation à des dommages-intérêts. Ce d’autant que la somme des dommages-intérêts peut se révéler bien supérieure au montant de l’amende prononcée par l’Autorité.
Avec la contribution de Lina Barzik
Stagiaire au sein du département de droit économique
[1] CA Paris, 18 décembre 2014, n° 2013/12370.
[2] Tribunal de commerce de Paris, 1er octobre 2019, n°2017053369.
[3] L’article 144 du Code de procédure civile permet au juge d’ordonner des mesures d’instruction lorsqu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
[4] Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 août 2023, n°22-14.094.
[1] Autorité de la concurrence, 14 mai 2013, Décision n°13-D-11.