Refus de requalification en contrat de travail des prestations fournies par une chroniqueuse à travers sa propre société

CA Paris, Pôle 6, Ch. 2, 1er décembre 2022

La requalification en contrat de travail peut constituer un enjeu crucial des relations client-prestataire, surtout quand ce dernier est une société constituée de la seule personne qui fournit les services. C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur les services rendus par une chroniqueuse auprès d’une radio pendant plusieurs années.

De 2008 à 2018, une chroniqueuse rendait, par contrats conclus par sa propre société, des prestations de rédaction et d’animation de chronique auprès de deux sociétés contribuant au fonctionnement d’une même station de radio.

A la fin de cette relation contractuelle, la chroniqueuse décida de saisir le Conseil de Prud’hommes de Paris aux fins de voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail avec ses clientes.

Le Conseil se déclara d’abord incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris au motif que la relation ne faisait pas l’objet d’un contrat de travail. La chroniqueuse interjeta alors appel auprès de la Cour d’appel de Paris qui a rendu et arrêt.

La chroniqueuse se fondait d’abord sur la présomption de salariat des journalistes professionnels, issue de l’article L 7112-1 du Code de travail. La Cour d’appel a rejeté sa demande au motif qu’en raison des contrats conclus la chroniqueuse ne pouvait se méprendre sur les termes des obligations et qu’elle n’avait aucun engagement personnel vis-à-vis de la radio avec laquelle elle n’avait pas directement contracté. La Cour souligne que la chroniqueuse ne peut prétendre au statut de journaliste professionnel pour y avoir délibérément renoncé en contractant via sa société, dont l’objet social ne comportait pas d’ailleurs d’activité de journalisme.

La chroniqueuse considérait qu’en tout état de cause la relation était caractéristique d’un contrat de travail et non d’un contrat de prestation de services. La Cour rejette également sa demande en rappelant, d’une part, les critères de la présomption de travail indépendant et, d’autre part, ceux de la relation de travail et plus précisément celui du lien de subordination juridique permanent. La Cour se fonde à nouveau sur les termes des contrats pour rejeter l’existence d’un lien de subordination. Selon la Cour, la présence d’une clause garantissant la « participation personnelle » de la chroniqueuse pour la réalisation de chroniques, selon des conditions déterminées (durées, périodicité etc.), ressortait de l’objet même des contrats conclus entre les parties ; de plus les sanctions contractuelles attachées ne pesaient pas sur la personne de la chroniqueuse mais sur sa société. La chroniqueuse ne démontre pas non plus avoir reçu des directives spécifiques, notamment sur le choix des sujets, ceci étant déjà prévu au contrat. Le ton employé par les équipes de la radio dans leurs e-mails ou la présence de la chroniqueuse dans leurs locaux pour la fourniture des services ne caractérisent pas davantage la relation salariée.

Par cette analyse détaillée, la Cour d’appel de Paris analyse la requalification spécifiquement par le prisme des contrats de prestation de services qui en l’espèce prévoyaient les obligations et conditions de réalisation des prestations. Toutefois, si en l’espèce la relation de travail n’est pas qualifiée, il convient d’être attentif, tant à l’étape de la conclusion que de l’exécution, aux conditions contractuelles et instructions transmises par un client à son prestataire, surtout lorsque ce dernier s’engage à ce qu’une personne déterminée assure la fourniture des services.