Refus de CDI après CDD – le Conseil d’Etat valide le dispositif d’exclusion du chômage
Nous revenons sur une décision rendue par le Conseil d’Etat le 18 juillet 2025 (492244) se positionnant sur les décrets pris en application du dispositif issu de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 dite « marché du travail » prévoyant notamment qu’un salarié en CDD ou en contrat de mission qui refuserait à deux reprises un CDI sur un poste identique ou similaire dans les douze mois précédents se verrait privé des indemnités de chômage. Les recours contre lesdits décrets sont rejetés et le dispositif validé. C’est l’occasion de revenir sur la procédure (trop complexe ?) à suivre.
- Rappel du dispositif menant à l’exclusion de l’indemnisation chômage
Conditions et forme de l’offre de CDI
Depuis le 1er janvier 2024, pour que l’employeur puisse proposer au salarié en CDD ou en contrat de mission que la relation contractuelle de travail se poursuive en CDI, l’employeur doit notifier sa proposition par écrit au salarié lorsque l’emploi offert est (art. L1243-11-1 c. trav. pour un CDD et art. L1251-33-1 c. trav. pour un contrat de mission) :
- identique ou un similaire ;
- assorti d’une rémunération au moins équivalente ;
- pour une durée de travail équivalente ;
- relevant de la même classification ;
- et sans changement du lieu de travail.
La notification de la proposition doit intervenir avant le terme du CDD ou du contrat de mission (art. R1243-2 I. et R1251-3-1 I. c. trav.) :
- soit par LRAR ;
- soit par lettre remise en main propre contre décharge ;
- ou par tout autre moyen donnant date certaine à sa réception.
La proposition doit également indiquer (art. R1243-2 II. et R1251-3-1 II. c. trav.) :
- le délai de réflexion accordé au salarié, qui doit être « raisonnable », et
- que son absence de réponse vaudra refus de la proposition de CDI.
Information de France Travail en cas de refus du salarié
En cas de refus (exprès ou tacite) par le salarié de la proposition de CDI, l’employeur doit en informer France Travail dans un délai d’un mois suivant ce refus (art. L1243-11-1 & R1243-2 II. c. trav. pour un CDD et art. L1251-33-1 & R1251-3-1 II. c. trav. pour un contrat de mission).
L’arrêté du 3 janvier 2024 ajoute que l’information de France Travail doit être réalisée au moyen d’un formulaire, par voie dématérialisée sur une plateforme dédiée. Cette plateforme est consultable depuis le site internet suivant : https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/refus-de-cdi-informer-francetravail.
L’employeur doit transmettre à France Travail (art. R1243-2 et R1251-3-1 c. trav.) :
- un descriptif de l’emploi proposé ;
- et des éléments permettant de justifier dans quelle mesure l’emploi proposé est identique ou similaire à celui occupé ; la rémunération proposée est au moins équivalente ; la durée de travail proposée est également équivalente ; la classification de l’emploi proposé et le lieu de travail sont identiques.
Cette information est aussi accompagnée de la mention :
- du délai laissé au salarié pour se prononcer sur la proposition de CDI ;
- de la date de refus exprès du salarié temporaire, ou en cas d’absence de réponse, de la date d’expiration du délai ci-dessus, au terme duquel le refus du salarié est réputé acquis.
France Travail informe ensuite le salarié de la réception de ces informations et des conséquences du refus de CDI sur l’ouverture du droit à l’allocation de chômage (art. R1243-2 dern. al. et R1251-3-1 dern. al. c. trav.).
Conséquences de deux refus dans les 12 mois précédents – privation des allocations de chômage
Le décret n° 2023-1307 du 28 décembre 2023 prévoit que le salarié en CDD ou en contrat de mission qui refuserait à deux reprises un CDI sur un poste identique ou similaire dans les conditions précisées ci-dessus dans les 12 mois précédents, se verrait privé du bénéfice de l’aide de retour à l’emploi (allocations de chômage) (art. L1243-11-1 I. dern. al. et art. L1251-33-1 I. dern. al. c. trav.).
- Positions du Conseil d’Etat – validation du dispositif
Ce dispositif de privation des allocations de chômage a été plusieurs fois contesté par plusieurs syndicats invoquant une atteinte aux droits des demandeurs d’emploi devant le Conseil d’État.
Décision du Conseil d’Etat du 24 juillet 2024 – rejet de l’inconstitutionnalité
Le syndicat force ouvrière (FO) a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la conformité à la Constitution des articles L1243-11 et L1251-33-1 du code du travail fixant la procédure d’information de France Travail par les employeurs en cas de refus de CDI.
Par une décision rendue le 24 juillet 2024, le Conseil d’État a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel estimant que bien que le refus du salarié de la proposition de CDI « puisse par ailleurs avoir pour conséquence […] qu’il ne pourra se voir ouvrir le bénéfice de l’allocation d’assurance, l’obligation de notification qui incombe à l’employeur est, par elle-même, sans effet sur les droits du salarié » (CE, 24 juill. 2024, 492249).
Le Conseil d’Etat a donc rejeté l’inconstitutionnalité du dispositif.
Décision du Conseil d’Etat du 18 juillet 2025 – validation du dispositif issu de la loi « marché du travail »
Dans la décision du 18 juillet 2025 (492244) ici commentée, le Conseil d’État s’est ensuite positionné sur un recours en annulation formé par plusieurs organisations syndicales contre le décret n° 2023-1307 du 28 décembre 2023 précité ainsi que contre l’arrêté du 3 janvier 2024 relatif aux modalités d’information de France Travail.
Absence d’atteinte au droit à un recours effectif
Le Conseil d’Etat précise qu’il n’y a pas d’atteinte au droit à un recours effectif pour les salariés car (§7 à 11) :
(§8) si les textes ne prévoient aucun délai minimal pour que le salarié se prononce sur la proposition de CDI, l’employeur (ou l’entreprise utilisatrice) doit tout de même accorder un « délai raisonnable » au salarié (art. R1243-2 et R1251-3-1 c. trav.) ;
(§9) le salarié est informé par France Travail des conséquences de son refus sur l’ouverture de ses droits à l’allocation, ce dernier étant seul à même de le faire, à réception des informations complètes transmises par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice ;
(§10 et 11) aucune disposition ne fait obstacle à ce que le salarié communique à France Travail tout autre élément, notamment quant au motif de son refus, de nature à lui permettre de déterminer si le bénéfice de l’allocation d’assurance peut lui être ouvert ;
(§10 et 11) le salarié peut toujours, sous le contrôle du juge, contester la décision prise par France Travail, notamment en faisant valoir que l’emploi proposé n’était pas similaire, ni assorti d’une rémunération au moins équivalente ou qu’il relevait d’une classification différente ou imposait un changement du lieu de travail.
Le Conseil d’Etat juge donc que des garanties suffisantes sont prévues par ce dispositif pour préserver les droits des salariés.
Caractère suffisant de l’information délivrée à France Travail
Le Conseil d’État observe enfin une différence de rédaction entre :
- l’article R1243-2 du code du travail relatif aux salariés en CDD, qui prévoit que l’employeur doit joindre à France Travail, en cas de refus de la proposition d’un CDI, un descriptif permettant de justifier que l’emploi proposé est identique ou similaire à celui occupé, que la rémunération et la durée de travail proposées sont équivalentes, et que la classification et le lieu de travail sont identiques ;
- et l’article R1251-3-1 du code du travail relatif aux salariés en contrat de mission, qui prévoit seulement que l’entreprise utilisatrice, en cas de refus du CDI, transmet à France Travail des éléments justifiant que l’emploi proposé est identique ou similaire à celui de la mission effectuée et que le lieu de travail est le même.
Le Conseil d’Etat en déduit que (§12 et 13), s’agissant des modalités d’information de France Travail par l’employeur quant au caractère identique ou similaire de l’emploi proposé en CDI, s’il y a une différence de précision entre ce qui est requis pour les salariés en CDD et les salariés en contrat de mission, cette circonstance n’entache pas le décret attaqué d’illégalité puisque l’entreprise utilisatrice, pour justifier que l’emploi proposé est identique ou similaire à celui de la mission effectuée, pourra par exemple, faire valoir la rémunération et la durée de travail figurant dans le contrat de mise à disposition du salarié. Cela représente ainsi un niveau de détail suffisant.