Procédure collective : Nullité de la cession globale d’œuvres audiovisuelles
Cour d’appel de Paris, pôle 5 – chambre 1, 8 octobre 2025, n° 24/11279
La présente affaire portait sur l’exploitation en ligne de comptines et chansons pour enfants, initialement produites sous forme d’un coffret audio dans les années 2000, puis commercialisées en DVD sous la forme de clips vidéo karaoké. À la suite de la liquidation judiciaire du producteur historique, le catalogue avait été vendu en bloc à une société tierce, puis confié à un nouvel exploitant chargé de diffuser les vidéos sur YouTube et Dailymotion.
Estimant que ces vidéos étaient diffusées sans autorisation sur plusieurs chaînes en ligne, l’exploitant avait saisi le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de son droit voisin de producteur.
En première instance, le Tribunal judiciaire de Paris avait admis que la société qui avait été chargée par le premier cessionnaire d’exploiter les programmes était titulaire des droits sur ceux-ci sur la base du contrat de gestion.
Toutefois, la Cour d’appel infirme cette analyse.
Sur le fondement de l’article L. 132-30 CPI dont les dispositions sont impératives, la Cour rappelle qu’en cas cession ou de liquidation d’une entreprise de production audiovisuelle dans le cadre d’une procédure collective, le liquidateur (ou l’administrateur ou le débiteur selon le cas) doit constituer un lot distinct pour chaque œuvre et aviser les auteurs et coproducteurs par lettre recommandée, à peine de nullité.
Or, la vente opérée en 2017 portait globalement sur plusieurs centaines d’œuvres, sans établissement de lots distincts pour chaque œuvre et sans notification préalable aux auteurs. La Cour a dès lors considéré que la cession initiale ne respectait pas les conditions impératives de l’article 132-30 CPI et elle prend soin de préciser que l’autorisation donnée par le juge-commissaire à la cession ne permet pas de pallier cette carence. La Cour a jugé en conséquence que la société qui assurait l’exploitation du catalogue en ligne n’établissait pas la titularité des droits invoqués. Cette dernière ne justifiant par ailleurs d’aucune initiative ni responsabilité dans la première fixation des vidéogrammes, elle ne peut se prévaloir du statut de producteur au sens de l’article L. 215-1 CPI.
Bien qu’il ne se prononce pas sur la qualification d’œuvre audiovisuelle de ces clips vidéo karaoké, l’arrêt souligne la rigueur du formalisme imposé par l’article L.132-30 du Code de la propriété intellectuelle en matière de cession d’œuvres audiovisuelles dans un contexte de liquidation.
L’obligation faite au liquidateur de constituer un lot distinct pour chaque œuvre et d’en notifier individuellement chaque auteur peut s’avérer d’une grande complexité matérielle, en particulier en présence d’un vaste catalogue. En effet, les catalogues contemporains peuvent désormais rassembler une multitude de formats courts et de créations diffusées en ligne, dont la délimitation en « œuvres » distinctes n’est pas toujours évidente. Les contraintes posées par l’article L. 132-30 du Code de la propriété intellectuelle peuvent dès lors avoir pour effet d’entraver la reprise d’une entreprise en difficulté et, paradoxalement, l’exploitation des œuvres concernées.