Présomption de cession : application dans le temps

CA Paris, Pôle 5 Ch. 1, 11 juin 2014

L’application dans le temps de la loi du 3 juillet 1985 continue de faire débat.

Convaincue de bénéficier de la présomption de cession des droits de l’artiste-interprète au producteur audiovisuel telle qu’elle a été codifiée par l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, l’INA exploitait sur sa boutique en ligne les vidéogrammes et phonogrammes de l’artiste Kenny CLARKE enregistrés en studio ou lors de concerts publics entre 1959 et 1970 et qui avaient été télédiffusés par une chaîne publique de télédiffusion.

La Cour d’appel sanctionne cette exploitation en jugeant qu’à défaut de production d’un contrat écrit, l’INA ne justifiait pas de l’accord de l’artiste-interprète à l’enregistrement de sa prestation et à son exploitation dans le cadre d’un programme télévisuel.

Il ne fait certes pas de doute que l’artiste-interprète –en l’espèce, ses héritiers– est fondé à invoquer le bénéfice de la protection reconnue aux artistes-interprètes par le Code de la propriété intellectuelle.

En effet, si la loi, entrée en vigueur au 1er janvier 1986 n’est pas rétroactive, elle est d’application immédiate et a donc vocation à s’appliquer à toute exploitation postérieure à cette date des prestations fixées et communiquées au public antérieurement.

S’agissant des productions audiovisuelles, l’article L. 212-7 prévoit que les accords professionnels portant sur la rémunération des exploitations ont vocation à s’appliquer aux contrats passés antérieurement au 1er janvier 1986, en ce qui concerne les « modes d’exploitation qu’ils excluaient ». Si la loi subordonne l’exploitation à l’accord de l’artiste, elle étend donc cette autorisation aux modes non prévus contractuellement moyennant les rémunérations convenues par les accords professionnels.

Pour écarter l’application de l’article 49 de la loi du 30 septembre 1986, modifiée, qui prévoit l’application des dispositions d’accords collectifs à l’exploitation des archives de l’audiovisuel public par l’INA, la Cour retient que cet article ne s’applique que pour autant que l’artiste-interprète ait autorisé la première exploitation, ce que l’INA manque d’établir faute de production d’un contrat écrit ou d’un « quelconque élément de nature à établir un accord de Kenny CLARKE ».

En énonçant que la présomption de cession ne serait pas applicable dès lors que n’est produit aucun contrat signé entre l’artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, la Cour semble exiger la production d’un contrat écrit, ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation [Netcom février 2013 : « La Cour de cassation confirme la cession du droit de synchronisation aux producteurs », Cass., civ. 1, 19 février 2013].

Comme le reconnaît l’arrêt, le principe d’une autorisation de l’artiste-interprète à la fixation de sa prestation et à l’exploitation de cette fixation était reconnu avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 et l’on ne peut sérieusement envisager que l’ORTF ait, à l’époque, enregistré et diffusé des concerts publics sans l’accord de l’artiste-interprète, même si cet accord n’a pas été acté par écrit à l’époque.

L’on peut espérer que cette décision ne fasse pas jurisprudence et qu’il ne faille pas attendre l’entrée des enregistrements dans le domaine public pour qu’ils soient accessibles au public.

L’on relèvera que la Cour rejette comme irrecevable la demande d’interdiction de l’exploitation des enregistrements litigieux faute de mise en cause des auteurs et autres artistes-interprètes concernés et qu’elle ramène le montant de l’indemnité à un montant sans doute proche des rémunérations convenues par les accords professionnels.

Eric LAUVAUX

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