Précisions de la CJUE quant à la titularité ab initio des droits sur une œuvre cinématographique

CJUE, 9 février 2012, aff. C-277/10, Martin Luksan c/ Petrus van der Let

La Cour européenne statuait dans le cadre d’un litige opposant le réalisateur principal d’un film documentaire, au producteur de ce film. Ceux-ci avaient conclu un contrat de production audiovisuelle par lequel le premier avait cédé au second ses droits d’auteur et les droits d’exploitation sur le film, à l’exception de certains modes d’exploitation (mise à disposition du public sur des réseaux numériques et diffusion par voie de « closed-circuit television » et de « pay TV »). En outre, le contrat ne comportait aucune disposition explicite concernant les droits à rémunération légaux, comme la rémunération pour copie privée. Le producteur ayant mis le documentaire en ligne, notamment sous la forme de « video à la demande », sans l’autorisation du réalisateur, ce dernier l’a assigné pour violation du contrat et de ses droits d’auteur.

La loi autrichienne, applicable en l’espèce, prévoyant une attribution originaire et directe des droits d’exploitation du film au producteur, ce dernier s’en prévalait pour affirmer que la totalité des droits d’exploitation exclusifs sur le film lui revenaient, y compris ceux qui lui avaient pas expressément été cédés. Par ailleurs, le producteur affirmait qu’il bénéficiait de la totalité des droits à rémunération en vertu du contrat de production, et ce, même si la disposition légale autrichienne prévoit que ceux-ci sont partagés pour moitié entre le producteur et l’auteur du film. Selon lui, cette disposition est en effet susceptible de dérogation, même en ce qui concerne la moitié revenant à l’auteur. La juridiction de renvoi (le tribunal de commerce de Vienne) souhaitait donc savoir si cette disposition (et interprétation) de la loi autrichienne était conforme au droit de l’Union.

La Cour répond en interprétant différentes directives sur les droits d’auteur et voisins (directive 93/83/CEE relative à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, directive 2001/29/CE relative aux droits d’auteur et voisins dans la société de l’information et directive 2006/115/CE relative aux droits de location et de prêt).

Selon la Cour, les textes européens s’opposent à ce qu’une législation nationale attribue, de plein droit et exclusivement, les droits d’exploitation (et notamment le droit de reproduction, le droit de diffusion par satellite et tout autre droit de communication au public) au producteur de l’œuvre. En effet, les directives reconnaissent au réalisateur principal la qualité d’auteur et visent à garantir aux auteurs un niveau de protection élevé. Par ailleurs, la propriété intellectuelle faisant partie intégrante du droit de propriété, elle doit être protégée conformément à l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dès lors, il s’avèrerait incompatible avec ces textes d’admettre qu’une législation nationale refuse au réalisateur les droits d’exploitation.

Néanmoins, la Cour reconnaît qu’une présomption de cession de ces droits peut être instaurée par les Etats membres, ceci afin de garantir un équilibre entre, d’une part, le respect des droits des coauteurs de l’œuvre cinématographique, et, d’autre part, ceux du producteur du film, « qui a pris l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre cinématographique et qui assume les risque liés à l’investissement». Elle précise que cette présomption ne doit cependant pas revêtir un caractère irréfragable et doit laisser la possibilité au réalisateur principal d’en convenir autrement.

En ce qui concerne la rémunération pour copie privée, la Cour réaffirme là encore que c’est le réalisateur principal de l’œuvre qui doit bénéficier de plein droit, directement et originairement, de cette rémunération, sans qu’aucune présomption de cession au profit du producteur de l’œuvre cinématographique ne soit possible, que cette présomption soit irréfragable ou non.

Le droit français semble en conformité avec l’interprétation de la Cour dans la mesure où l’œuvre audiovisuelle et donc cinématographique est considérée comme une œuvre de collaboration, dont les droits appartiennent à l’origine à l’ensemble des coauteurs, notamment le réalisateur, par détermination de l’article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, l’article L.132-24 de ce même code introduit une présomption de cession des droits d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle au profit du producteur, qui opère par la signature du contrat de production, cette présomption de cession supportant la « clause contraire ».

Mathilde ALZAMORA

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