Pas de contrefaçon ni d’atteinte à « l’univers » d’un artiste en l’absence de reproduction d’éléments de ses œuvres

TGI Paris, 3ème Ch., 1ère section, 7 juillet 2016

Dans cette affaire, une plasticienne française, connue pour être à l’origine d’un courant artistique nommé « l’art charnel », a assigné la chanteuse Lady Gaga et Universal Music devant le tribunal de grande instance de Paris afin de les voir condamnés pour contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme.

 

Dans un premier temps, elle considérait qu’au sein du clip « Born this way » ainsi que sur la pochette du single associée, la chanteuse pop et la maison de disque avaient reproduit délibérément trois de ses œuvres et s’étaient appropriés tout son effort créatif, ce qui constituait des actes de contrefaçon. Ainsi, elle réclamait la somme de 31.5 millions de dollars (près de 27 millions d’euros) de dommages intérêts, demandait l’arrêt de la diffusion du clip ainsi que l’interruption de la commercialisation de la pochette du single.

Tout d’abord, les juges ont relevé qu’aucune caractéristique de l’œuvre « Woman with head » n’était reprise par Lady Gaga, pas même celle de la tête de femme décapitée posée sur une table, ceci ayant pour conséquence de montrer qu’aucun acte de contrefaçon n’était constitué.

Ensuite, concernant « Bumpload », soi-disant reprise sur la pochette du single et dans le clip, le tribunal a estimé qu’il n’existait aucune ressemblance entre les deux œuvres et que la plasticienne ne pouvait s’approprier « la représentation d’un corps humain transformé en personnage hybride de façon générale, car il s’agit d’une simple idée non appropriable qui doit rester libre de parcours ». Par conséquent, les faits de contrefaçon de l’œuvre n’ont également pas été retenus.

Et enfin, concernant la dernière œuvre « le visage à 4 implants », le tribunal de grande instance a estimé que la demanderesse n’apportait aucunement la preuve qu’elle était titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre, ni même ne démontrait en réalité l’existence d’une œuvre protégeable par le droit d’auteur, la description imprécise de l’œuvre par l’auteur rendant impossible sa caractérisation.

Le tribunal n’a donc pas soutenu l’analyse et a estimé qu’aucun acte de contrefaçon ne pouvait être retenu en l’espèce.

Dans un deuxième temps, les magistrats ont dû se prononcer sur les demandes additionnelles qui tendaient à démontrer qu’étaient constitués des actes de parasitisme. La plasticienne prétendait que Lady Gaga avait commis de tels actes en reproduisant son univers, notamment en s’inspirant directement de différentes œuvres et en s’appropriant son image, ce qui lui permettait de se placer dans son sillage pour bénéficier de sa renommée.

Les juges ont répondu, après examen de plusieurs œuvres versées aux débats, qu’il n’existait aucun élément commun, ni ressemblance entre ces œuvres spécifiques créées par la plasticienne et le vidéo clip de « Born this way », et que donc il ne saurait y avoir un quelconque emprunt à l’univers de l’artiste.

Concernant le reste des œuvres présentées à l’audience, les magistrats ont estimé que le clip ne faisait que reprendre des symboles utilisés de façon usuelle, ou des idées couramment utilisées dans le milieu de l’art ou bien même des éléments banals appartenant à un courant de la mode, et qu’en conséquence Lady Gaga n’a pas emprunt’ d’éléments de l’univers de la demanderesse.

En dernier lieu, les juges français ont déclaré, en analysant les photographies versées aux débats, que Lady Gaga ne copiait pas l’image de la plasticienne mais mettait en scène sa propre image ainsi que son propre personnage dans le clip, d’autant plus que la chanteuse est « une artiste reconnue et connue pour ses frasques vestimentaires ».

En tout état de cause, il est souligné à propos de l’œuvre « Le manifeste de l’art charnel » que l’artiste « ne peut se revendiquer auteur d’un courant artistique, […] puisque un courant artistique ne peut être protégé en lui-même car il est destiné à accueillir tous ceux qui entendraient s’en revendiquer ».

Le tribunal de grande instance a ainsi débouté la demanderesse de toutes ses demandes et l’a condamnée à payer la somme de 20.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

En définitive, cet arrêt illustre parfaitement le fait que d’une part, pour bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur, il est nécessaire que l’œuvre de l’esprit soit véritablement reproduite, qu’elle ne peut être protégée si elle est une simple idée et qu’il ne peut y avoir de protection que si l’auteur démontre être titulaire des droits sur l’œuvre.

D’autre part, s’il est d’agir sur le fondement du parasitisme pour sanctionner l’emprunt d’éléments de l’univers d’un artiste, cette protection reste subordonnée à ce que des œuvres protégeables de cet univers en question soient reprises par le prétendu fautif. Il est donc nécessaire que l’on puisse retrouver des éléments communs entre les œuvres, et que ces œuvres ou idées ne soient pas usuelles ou communes. En l’absence de ces exigences, les juges ne pourront reconnaître les actes de parasitisme.

L’affaire n’est cependant pas encore terminée, car il a été formé appel de la décision et en parallèle, une procédure a été lancée devant les tribunaux américains.

Geoffroy POUSSET

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART