Obligation de rapatriement dans les groupes de sociétés

Cass. Soc. 28 octobre 2015, 14-16299

La démission claire et non équivoque avant le départ en mobilité internationale prive le salarié du droit à rapatriement par la société mère.

Une disposition ancienne du Code du travail (article L1231-5) assure le maintien de la protection du droit du travail français aux salariés qui sont envoyés à l’étranger par leur employeur, même lorsqu’un contrat de travail a été conclu localement avec la filiale étrangère. D’après ce texte, si la filiale étrangère rompt le contrat de travail, la société mère doit assurer le rapatriement et le reclassement du salarié, ou, si un reclassement est impossible, prononcer son licenciement. Ce même texte précise d’ailleurs que le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement.

Les circonstances dans lesquelles le salarié quitte la France pour s’expatrier sont souvent une zone grise, ce qui a conduit à des contestations sur l’application de l’article L1231-5 du Code du travail. L’on trouve de telles zones grises lorsque c’est le salarié qui prend l’initiative de la mobilité internationale, notamment dans les groupes importants. Il peut arriver en effet que le salarié désireux de s’installer à l’étranger demande à son employeur quelles sont les possibilités d’emploi au sein du groupe et obtienne une affectation dans une filiale.

L’arrêt du 28 octobre 2015 concernait une affaire où la salariée avait démissionné d’un groupe (Manpower) pour signer un contrat de travail dans une filiale en Nouvelle Calédonie. Après dix ans en Nouvelle Calédonie, elle était nommée dans une autre filiale de Manpower en Tunisie, filiale qui finalement l’a licenciée quelques mois plus tard.

La salariée a alors demandé à Manpower de la rapatrier, ce que Manpower a refusé. Elle a alors engagé un contentieux pour revendiquer l’application des dispositions de l’article L1231-5 du Code du travail, ce qui a été refusé par Manpower. Dans le cadre du litige elle soulignait aussi que la société française avait exercé à son égard un pouvoir de direction dans le cadre duquel elle avait été affectée au sein de la société Manpower Nouvelle-Calédonie puis mutée au sein de la société Manpower Tunisie. Elle demandait donc condamnation de Manpower France et (Manpower France Holding) à lui rembourser ses frais de rapatriement et lui payer des indemnités de rupture et des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel de Versailles l’a déboutée de ses demandes, et le pourvoi que la salariée a formé a été rejeté par la Cour de cassation.

Pour rejeter le pourvoi et dire que l’article L1231-5 du Code du travail n’était pas applicable, la Cour de cassation s’est fondée sur le fait que la salariée avait remis sa démission auprès de la société française avant d’être engagée par les filiales en Nouvelle Calédonie puis en Tunisie, en sorte, indique la Cour de cassation, qu’elle n’avait pas été mise à la disposition de ces dernières par la société française.

Cette décision est à rapprocher d’un arrêt du 14 décembre 2005 (n°03-47891) où à l’inverse l’application de l’article L1231-5 du Code du travail avait été admise car il n’était pas certain que le salarié avait remis sa démission.

Il s’agissait d’un salarié qui avait été engagé par la société Alsthom, puis détaché dans une filiale brésilienne. Il avait ensuite été engagé par une filiale américaine. Après avoir été licencié par cette dernière en 2000, il avait demandé son rapatriement par la société française. Alsthom avait refusé, considérant qu’il avait démissionné et que cet article ne s’appliquait donc pas. Elle avait notamment fait valoir que c’était à l’initiative exclusive du salarié qui souhaitait travailler aux Etats-Unis que celui-ci avait été recruté par la société américaine, la société française étant totalement étrangère à cette embauche.

La Cour de cassation avait posé que le salarié n’avait nullement démissionné au moment de son recrutement par la société américaine, et avait au contraire manifesté son intention de rester au sein du groupe. Pour cette raison elle a jugé l’article L1231-5 applicable.

Ces deux décisions, et en particulier l’arrêt du 28 octobre 2015 illustrent la nécessité, en cas d’envoi d’un salarié en expatriation, de bien matérialiser la démission du salarié du groupe, dans des termes non équivoques, si la société mère entend ne pas se lier pour un futur rapatriement.

Anne CIRET

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