Marque « scandaleuse » : le double sens du « coq sucette » ne fait pas recette.

United States Court of Appeals (Fed. Circ.), Case 2012-1212, In re Marsha Fox, 19 décembre 2012

La législation applicable aux Etats-Unis en matière de droit des marques, prohibe l’enregistrement de marques immorales ou « scandaleuses » (United States Code, Titre 15, Chapitre 22, §1052). S’il existe des dispositions similaires en droit français et en droit communautaire (sous la formulation « contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs »), l’appréciation par le juge de ce qui est immoral, contraire aux bonnes mœurs, ou scandaleux, reste subjective et dépendra des cultures.


En l’espèce, la Cour d’appel américaine devait juger de la validité de la marque constituée de l’élément verbal « COCK SUCKER » et d’un élément figuratif représentant un coq. Le signe est utilisé pour désigner des sucettes au chocolat en forme de coq, en référence à deux universités américaines qui ont pour mascotte un coq de combat.

En septembre 2001, le déposant demande l’enregistrement du signe « Cock sucker » pour des sucettes en chocolat en forme de coq. L’office américain des marques et des brevets (USPTO), équivalent de l’INPI, rejette l’enregistrement, l’examinateur considérant que la marque est immorale dans la mesure où le terme « cocksucker » désigne, en des termes triviaux, une « personne pratiquant un acte de fellation » (définition du dictionnaire citée par l’examinateur de l’USPTO). Le déposant fait valoir ses observations, indiquant que le terme « cock » désigne également un coq et « sucker » une sucette et que cette définition doit être préférée à la signification vulgaire retenue par l’office dans la mesure où elle est corroborée par l’élément figuratif du signe et les produits et services visés.

En réponse, l’examinateur concède que si le déposant démontre en effet que le signe peut avoir une signification plus décente, et que chaque terme pris isolément n’est pas nécessairement vulgaire, la signification la plus répandue de l’expression « cocksucker » est telle qu’une partie significative du public percevra dans l’expression en cause son caractère scandaleux avant à toute autre signification.

Après plusieurs échanges entre l’USPTO et le déposant, la marque est finalement rejetée et le déposant fait appel de cette décision.

Le déposant fait valoir que l’élément verbal du signe n’est pas « cocksucker » (en un mot) mais « cock sucker », ce qui serait déterminant dans la mesure où si « cocksucker » désigne une personne pratiquant la fellation, il n’existerait pas de définition pour « cock sucker » autre que « coq sucette». Le déposant reconnaît néanmoins que le signe est effectivement susceptible de signifier deux choses très différentes, suscitant par là même un effet comique.

La Cour rappelle en premier lieu que la démonstration du caractère scandaleux ou vulgaire de l’enregistrement en cause doit se faire au regard de l’époque, du marché de référence quant aux produits et services visés, et en se plaçant du point de vue d’une partie substantielle du public. Si la signification du signe est ambiguë, ou si son sens vulgaire n’est qu’une simple possibilité, celui-ci pourrait être enregistré.

La Cour indique que lorsqu’un signe a plusieurs significations et que son acception vulgaire est obscure ou peu claire, ce caractère grossier peut être effacé par le contexte dès lors que celui-ci accentue la signification décente du signe. La Cour estime qu’en l’espèce, la présence d’un espace entre les deux éléments du signe est sans incidence et que l’utilisation de l’expression litigieuse dans le cadre d’un thème « volailler » n’atténue pas son caractère vulgaire, d’autant plus que la signification de l’expression « cocksucker » est parfaitement claire et évidente et sera donc comprise dans son acception grossière en dépit des éléments figuratifs et des produits visés. La Cour indique également que si le caractère humoristique du signe n’est pas contesté, celui-ci n’est pas exclusif du caractère scandaleux.

Le déposant invoque par ailleurs des précédents jurisprudentiels : le juge aurait indiqué qu’en présence d’une marque à double sens (l’un des sens étant grossier), l’USPTO devait démontrer, pour refuser l’enregistrement, que le public choisirait de comprendre le signe dans son acception vulgaire et non dans son sens classique.

La Cour rappelle néanmoins qu’il n’est pas nécessaire que le signe, pour être qualifié de scandaleux ou vulgaire, ait uniquement une signification grossière. Il suffit que le signe ait une signification scandaleuse, même si ce n’est pas la seule.

Par ailleurs, la Cour indique que lorsqu’une marque a plusieurs significations, et que l’une d’entre elle est vulgaire ou immorale, l’USPTO doit en effet démontrer que le public pertinent comprendrait en priorité la signification « scandaleuse ». Cependant, cette exigence dégagée par la jurisprudence se limite aux cas où un signe a plusieurs significations et n’est pas applicable aux signes à double sens, d’autant plus lorsqu’ils sont utilisés volontairement à cet effet, comme c’est le cas en l’espèce.

Le déposant invoque par ailleurs la présomption de « registrabilité » appliquée aux expressions à double sens dégagée par l’USPTO. Cependant, cette présomption n’a vocation à s’appliquer que pour les marques à double sens dont l’une des significations serait descriptive. En effet, si l’enregistrement de marques descriptives est prohibé, l’USPTO estime qu’en cas de double sens de l’expression descriptive, le signe peut être enregistré. En l’espèce, cette présomption ne peut donc s’appliquer.

La Cour précise enfin que si le signe ne peut être enregistré à titre de marque, il n’est pas fait interdiction au déposant de continuer à l’utiliser pour commercialiser ses produits.

En tout état de cause, cette décision semble conforme à ce qui aurait probablement été jugé dans un cas similaire par les juridictions européennes (voir par exemple la décision du Tribunal de l’Union Européenne du 9 mars 2012 rejetant la demande d’enregistrement d’un signe comprenant « Hijoputa ») ou françaises (Cass. Com. 23 mars 2011 confirmant l’arrêt d’appel ayant invalidé la marque « Puta madre »).

Anne Sophie LABORDE