Lorsqu’un conflit entre collègues justifie la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur : une nouvelle illustration de la prise en compte de la souffrance au travail

Cass. Soc. 8 juin 2017, 16-10458
Cass. Soc. 21 juin 2017, 15-24272
Cass. Soc. 22 juin 2017, 16-15507

La Cour de cassation, par 3 arrêts rendus en juin 2017, offre une nouvelle illustration de l’étendue de l’obligation de préservation de la santé et de la sécurité des salariés par l’employeur. Le maintien de conditions de travail sereines figure au titre de celle-ci. Dès lors, lorsqu’une ambiance nocive au travail perdure, la responsabilité de l’employeur peut être recherchée.

1. L’étendue de l’obligation pesant sur l’employeur

Au terme de l’article L.4121-1 du Code du Travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs ».

L’employeur doit prendre en compte tous les risques auxquels ses collaborateurs peuvent être exposés dans le cadre de leur travail, y compris les risques psychosociaux (stress, harcèlement moral ou sexuel, violences au travail).

Dès lors, l’employeur doit mettre en place des actions de prévention, notamment une organisation et de moyens adaptés ; puis au besoin, des mesures rectificatives. L’employeur doit donc, lorsque les circonstances l’exigent, user sans tarder de son pouvoir disciplinaire ; à défaut de quoi, il pourra être sanctionné au titre d’un manquement à son obligation légale.

Ainsi, la protection la plus élémentaire consiste à protéger ses employés, de toute agression ou violence physique ou morale sur le lieu de travail, qu’elle provienne d’une personne extérieure à l’entreprise ou d’un autre salarié.

Dès lors, la Société n’a normalement d’autre choix que d’intervenir rapidement et de prendre une décision afin de faire cesser une situation de danger pesant sur l’un de ses salariés.

Qu’en est-il alors lorsque l’employeur se trouve face à un cas de souffrance au travail provoquée par un conflit avéré entre collègues ? Tel est l’apport des 3 arrêts de juin 2017.

Dans les 3 affaires ici commentées, des salariés avaient agi en résiliation judiciaire après avoir développé un syndrome anxio-dépressif attribué à un conflit les impliquant ou alors subissant une ambiance de travail délétère. La Cour de cassation a donc recherché si l’employeur, d’une part avait connaissance des faits, et d’autre part, s’il avait réagi avec diligence, célérité et proportionnalité.

Dans son arrêt du 8 juin 2017, la Haute Cour a retenu la responsabilité de l’employeur en estimant que celui-ci n’avait pris « aucune mesure pour remédier à la situation de souffrance exprimée par l’intéressée et matérialisée par des circonstances objectives ».

Le défaut de réaction de l’employeur, parfaitement au fait d’une situation de souffrance avérée de l’un de ses collaborateurs, « victime collatérale » d’une ambiance de travail nocive, est donc sanctionné.

Dans son arrêt du 21 juin 2017, la Haute Cour a écarté la responsabilité de l’employeur, celui-ci ayant réagi «avec diligence & efficacité». En effet, la Cour a relevé que l’auteur des messages à caractère raciste avait été sanctionné, qu’il lui avait été demandé de présenter des excuses et que les faits ne s’étaient plus reproduits par la suite.

La réaction immédiate et proportionnée de l’employeur est donc mise en avant par la Cour de cassation pour exclure la qualification d’une résiliation judiciaire aux torts de ce dernier.

Enfin, dans son arrêt du 22 juin dernier, une salariée s’était plainte auprès de son employeur des difficultés qu’elle rencontrait avec l’une de ses collègues. Le conflit qui les opposait étant persistant, l’employeur avait alors instauré une médiation.

Etait-ce suffisant ? Non, selon la Cour de cassation, laquelle, sans reprocher à l’employeur un manquement à son obligation de reclassement, a pourtant estimé que l’employeur « n’avait pas pris toutes les mesures utiles pour régler avec impartialité » ce conflit.

Ainsi dans cette dernière affaire, la Haute Cour a critiqué notamment l’inertie de l’employeur, et a estimé au surplus que d’autres actions auraient pu être mises en place, préconisées en l’espèce par le Médecin du travail, ce qu’il n’a pas fait.

2. Nécessité d’adapter la mesure aux circonstances de l’espèce

A l’instar de toute mesure coercitive prise par l’employeur à l’encontre du salarié, l’atteinte doit être proportionnée au but recherché.

Les mesures doivent donc être ciblées. Les trois arrêts commentés ici donnent certaines clés aux employeurs afin de trouver la réponse appropriée, tel que :

– La mobilité permettant l’éloignement géographique des protagonistes (changement de bureau, voir au besoin de site)
– L’intervention du Médecin du travail
– la médiation directe
– La sanction disciplinaire au besoin

Enfin, il pourra être relevé une étude menée en Allemagne dans le monde du travail, selon laquelle environ 5% à 10% des salariés de ce pays seraient qualifiés de « personnalités toxiques ».

De là à transposer ces recherches à notre territoire national, il n’y aurait qu’un pas ; lequel mènerait à des chiffres sans doute hélas similaires. Raison de plus pour les employeurs de se montrer vigilants et réactifs.

Bettina SCHMIDT

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