Licenciement économique : appréciation de la périodicité des difficultés économiques «objectivées »

En 2016, la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dite loi El Khomri, a significativement modifié l’article L1233-3 du code du travail relatif à la définition du motif économique de licenciement. Elle y intégrait notamment des indicateurs objectifs de difficultés économiques permettant aux employeurs d’arguer d’un motif économique de licenciement, sans contestation possible des salariés.

Ainsi, l’article L1233-3, 1°, du code du travail dispose désormais que les difficultés économiques d’une société peuvent notamment être caractérisées par une baisse significative (i) des commandes ou (ii) du chiffre d’affaires. Or, dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, avérée durant une période fonction du nombre de salariés (1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ; 2 trimestres pour une entreprise de 11 à moins de 50 salariés ; 3 trimestres pour une entreprise d’au moins 50 salariés et moins de 300 salariés ; 4 trimestres pour une entreprise de 300 salariés et plus), le texte dispose que la difficulté économique est légalement « constituée ». Le législateur a ainsi « objectivé » le motif économique de licenciement en fixant de façon précise le mode opératoire d’appréciation de ces deux indicateurs de difficultés économiques.

Reste que l’article L1233-3 ne définit pas la période de référence pour effectuer cette comparaison. Faut-il prendre en compte la période précédant le début de la procédure de licenciement (qui peut avoir débuté très en amont, notamment en cas de PSE) ? Ou faut-il prendre en compte la période précédant la rupture du contrat de travail, c’est-à-dire la notification de la lettre de licenciement ? C’est à cette question que répond la décision de la Cour de cassation du 1er juin dernier (Cass. soc., 1er juin 2022, 20-19.957).

Embauchée le 6 décembre 1982, une salariée est licenciée pour motif économique le 14 juillet 2017. Par la suite, elle conteste le bienfondé de son licenciement. En effet, elle considère que la société, qui a plus de trois cents salariés, ne peut arguer d’une baisse de quatre trimestres consécutifs du chiffre d’affaires en comparant celui de l’année 2016 par rapport à celui de l’année 2015 alors que lors du premier trimestre de l’année 2017, le chiffre d’affaires de la société n’avait pas baissé mais au contraire augmenté de 0,5%. En d’autres termes, lors d’au moins un des quatre trimestres précédant le licenciement, l’entreprise ne pouvait pas arguer d’une baisse du chiffre d’affaires.

Au contraire, la cour d’appel avait considéré que les difficultés économiques devaient être appréciées à la date du déclenchement de la procédure économique sur le fondement des données connues à ce moment-là et avait considéré que l’augmentation de 0,5% du premier trimestre 2017 n’était pas suffisante pour signifier une amélioration de la situation économique de la société, laquelle avait bien connu une baisse de son chiffre d’affaires de quatre trimestres consécutifs en 2016, par rapport à 2015.

La Cour de cassation a donné raison à la salariée et cassé l’arrêt de la cour d’appel.

Dans un premier temps, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci » (§9). Elle en déduit ensuite que la baisse du chiffre d’affaires « s’apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période » (§10). C’est-à-dire en comparant les  « quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail » avec « la même période de l’année précédente » (§14).

Elle casse donc la décision d’appel, considérant que les juges du fond n’ont pas caractérisé les difficultés économiques de la société. Toute augmentation du chiffre d’affaires ou des commandes durant la période concernée, même minime, fait, en effet, obstacle à la validité du licenciement fondé sur la seule baisse de ces indicateurs.

Cet arrêt doit mener les sociétés envisageant un licenciement pour motif économique basé sur la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires à porter une attention particulière aux indicateurs contemporains à la notification du licenciement, c’est-à-dire aux commandes ou aux chiffres d’affaires de tous les trimestres précédant immédiatement la notification du licenciement (et non uniquement ceux retenus en début de procédure, notamment lors de la consultation du CSE).

A noter, dans les faits de cet arrêt, la salariée avait été licenciée le 14 juillet 2017 et la Cour de cassation a constaté que le chiffre d’affaires n’avait pas baissé lors du premier trimestre de l’année 2017. Cela suffisait effectivement à démontrer l’absence de baisse continue durant 4 trimestres comparativement à l’année précédente conformément aux dispositions du 1° d) de l’article L1233-3 du code du travail. En l’occurrence, la période de référence courrait donc de juillet 2016 à juin 2017 qu’il convenait de comparer à celle de juillet 2015 à juin 2016. Ainsi, si durant le premier trimestre de l’année 2017 le chiffre d’affaires avait également baissé, le motif de licenciement n’eût pas pour autant été nécessairement retenu ; ce n’est qu’à la condition de la démonstration de la baisse du chiffres d’affaires y compris lors du second trimestre de l’année 2017 (d’avril à juin 2017) que les difficultés économiques eussent été légalement constituées.