L’exécution forcée en référé d’une convention de vote dans le cadre d’un pacte d’actionnaires (T. Com Paris, 3 août 2011, N° 2011052610 BRDA 20/11 Inf.2 et CA Paris, P. 1, ch. 3, 8 novembre 2011, N° 11/16066)

Les pactes d’actionnaires prévoient presque systématiquement des engagements pour leurs parties de voter, que ce soit en assemblée générale ou dans le cadre d’un organe social, de telle ou telle manière. Ces obligations, qui sont des obligations de faire, posent par leur nature des difficultés d’exécution si une partie n’entend pas respecter son engagement. Deux récentes jurisprudences successives concernant la même affaire jugée en référé puis en appel ont utilement éclairé ce qui pouvait être espéré d’une procédure de référé lancée pour obliger une partie à respecter un engagement de faire pris dans un pacte d’actionnaires.

Dans cette affaire, un pacte intervenu entre un actionnaire majoritaire et un minoritaire prévoyait une répartition des sièges au Conseil de Surveillance d’une SAS de trois sièges pour l’actionnaire majoritaire et de deux pour l’autre actionnaire, la désignation des membres du Conseil devant se faire dans le cadre d’une assemblée générale. Le majoritaire, sur la base de reproches faits au minoritaires, reproches ayant déclenché une procédure judiciaire parallèle en annulation du pacte, avait refusé de voter pour les deux candidats présentés par le minoritaire et avait au contraire désigné deux candidats supplémentaires présenté par lui, s’octroyant ainsi les 5 postes au Conseil au mépris des dispositions du pacte.

Le minoritaire avait saisi le Président du Tribunal de Commerce de Paris en référé pour demander l’exécution forcée des dispositions du pacte, sur le fondement des articles 872 et 873 du Code de procédure civile et 1134 du Code Civil. Les commentateurs s’étaient réjouis que le demandeur ait, dans une large mesure, obtenu satisfaction. En effet, la décision de référé avait ordonné la convocation sous astreinte d’une nouvelle assemblée en vue de la révocation des deux membres du Conseil de Surveillance nommé en contradiction du Pacte et de la désignation des candidats proposés par le minoritaire. Quand bien même le juge des référés n’est pas allé jusqu’à lui-même révoquer ces deux personnes dans sa décision, l’annulation de leur nomination relevant non de lui, mais d’une décision des juges du fond, son ordonnance a été réformée par la Cour d’Appel, qui a considéré qu’il avait excédé ses pouvoirs.

La Cour d’Appel a, en tout état de cause, relevé de nombreux arguments favorables à l’appui de la demande du minoritaire. Ainsi, elle a noté que le non-respect des dispositions du pacte constituait un trouble manifestement excessif qui avait justifié la saisine du juge des référés.  Elle a également jugé inopérant le fait que le pacte soit sous le coup d’une potentielle, mais future, résolution, et qu’un conflit quant à une éventuelle concurrence déloyale envers la société ait pu exister entre les actionnaires. La Cour a donc considéré que l’Article 873 du Code de procédure civile, qui permet au président du Tribunal de Commerce, même quand existe une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, trouvait à s’appliquer ici.

La Cour note enfin qu’il est légitime de forcer un actionnaire à appliquer un engagement de vote, si une telle exécution forcée est, pratiquement, possible. L’exécution forcée d’un tel engagement librement contracté ne remet pas en cause le principe de la liberté du vote.

Cependant, la Cour considère que le juge des référés ne pouvait ordonner à l’actionnaire majoritaire de révoquer les 2 candidats « surnuméraires » nommés par lui, car il n’avait pas le pouvoir d’annuler de cette manière leur nomination, prérogative du seul juge du fond.  Elle va cependant assortir sa décision d’annuler la décision de référé d’une décision qui montre qu’elle entend satisfaire dans les limites de la loi les demandes du minoritaire qui a subi un trouble manifestement illicite. En effet, la Cour d’Appel va satisfaire la demande subsidiaire du minoritaire qui visait à faire nommer un mandataire en vue de recueillir tous documents remis aux membres du Conseil de Surveillance et en vue d’assister aux réunions dudit Conseil pour en faire le compte-rendu au minoritaire. Certes, cette solution permet au minoritaire d’avoir les informations dont son exclusion de fait du Conseil de Surveillance le privait, mais elle ne lui permet pas d’exercer d’autres droits qui lui donnaient le pacte ou les statuts de la société, comme l’exercice d’un droit de véto qui doit vraisemblablement s’appliquer à des décisions stratégiques soumises au Conseil de Surveillance. En d’autres termes, le vrai débat ne peut être tranché que par les juges du fond.

Dans le cadre du refus d’exécuter une obligation de faire à l’occasion de l’application d’une convention d’actionnaires, même si une contestation sérieuse existe, le juge des référés a le pouvoir de prendre des mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Cependant, il ne peut pas trancher un litige entre associés dans ce cadre car ce pouvoir ne relève pas de lui. Le référé n’est donc pas la solution miracle pour faire exécuter un pacte d’actionnaires.

 

Matthieu BRINGER