Le rôle du chiffre d’affaires, même faible, dans la qualification de relation commerciale établie
La Cour de cassation a rendu trois arrêts le 14 mai 2025 dans des litiges opposants, d’un côté, un établissement de crédit (la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc – CRCAML) et, de l’autre côté, des sociétés de courtage en opérations de banque et en services de paiement, suite à la résiliation des contrats à l’initiative de la CRCAML.
La CRCAML avait conclu une convention d’apporteur d’affaires avec des sociétés de courtage, dont l’objet était de permettre aux courtiers de proposer à leurs clients l’offre de l’établissement de crédit, les clients étant libres ensuite de conclure, ou non, directement avec l’établissement de crédit le contrat de prêt proposé. Suite à la résiliation de ces conventions d’apporteur d’affaires, les courtiers ont fait valoir l’existence d’une relation commerciale établie et ont réclamé à la CRCAML une indemnisation fondée sur le caractère brutal de la rupture.
Dans les trois arrêts, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par l’établissement de crédit et a ainsi validé les solutions retenues par la Cour d’appel de Paris entérinant l’existence d’une relation commerciale établie. Le sujet de discussion principal était, dans les trois affaires, celui du caractère ou non établi de la relation commerciale existant entre la CRCAML et les sociétés de courtage, relation issue des conventions d’apporteur d’affaires signées.
L’établissement de crédit considérait que le caractère établi d’une relation commerciale était subordonné à l’existence et au maintien d’un flux d’affaires stable et significatif. La Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation n’ont pas été de cet avis : elles ont pris le soin de distinguer les deux relations contractuelles unissant, d’une part, la CRCAML et les sociétés de courtage via le contrat d’apporteur d’affaires et, d’autre part, la CRCAML et les clients démarchés par les sociétés de courtage qui, ayant choisi de donner une suite favorable à l’offre de prêt qui leur avait été faite par la banque, avaient signé avec elle les contrats de prêt.
De cette dualité de liens contractuels, la Cour de cassation a déduit que ni l’absence de contrat de mandat entre l’établissement de crédit et les sociétés de courtage, ni le démarchage d’autres banques que la CRCAML par les sociétés de courtage dans le but d’identifier la meilleure offre de prêt pour leurs clients, qui étaient ensuite libres de signer ou non avec ladite banque le contrat de prêt proposé, ne faisaient pas obstacle à l’existence d’une relation commerciale établie entre la banque et l’apporteur d’affaires.
Dans un second temps, la Cour de cassation a relevé que l’existence de la relation commerciale, matérialisée par la signature du contrat d’apporteur d’affaires entre la CRCAML et les sociétés de courtage, présentait un caractère « établi » qui résultait du caractère stable et continu du flux d’affaires réalisé par la société de courtage avec l’établissement de crédit, quelle que soit l’importance de ce flux et donc même si le chiffre d’affaires réalisé était faible.
Selon la Cour de cassation, le critère du caractère « établi » de la relation commerciale est, en effet, que l’existence d’un flux d’affaires stable et continu, même peu significatif, permettait raisonnablement aux sociétés de courtage d’anticiper pour l’avenir une continuité de ce flux d’affaires et de leur relation avec l’établissement de crédit.
Dans les trois litiges, la condamnation de la CRCAML à verser une indemnisation aux sociétés de courtage pour rupture brutale de la relation commerciale qualifiée, à juste titre, « d’établie » par les juges d’appel, a été confirmée.